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CRITIQUES DE CONCERTS |
21 décembre 2024 |
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Recréation d’Elektra de Strauss dans la mise en scène de Ruth Berghaus, sous la direction de Hartmut Haenchen à l’Opéra de Lyon.
Festival MĂ©moires (2) :
La puissance de l’antique
Après Poppée selon Klaus Michael Grüber et avant Tristan par Heiner Müller, l’Opéra de Lyon proposait, dans son festival de printemps intitulé Mémoires, le retour de la production Ruth Berghaus d’Elektra, vieille de trente ans. L’occasion de retrouver un spectacle qui n’a (presque) rien perdu de son impact, et de découvrir l’Elektra miraculeuse d’Elena Pankratova.
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À Dresde en 1986, l’égérie de la mise en scène lyrique d’Allemagne de l’Est Ruth Berghaus faisait naître d’une contrainte – la fosse trop étroite du Semperoper – un concept, en plaçant la centaine d’instrumentistes du roboratif orchestre straussien sur scène, devant le décor d’Elektra, appuyant l’idée répandue que l’orchestre est un personnage à part entière, et même la colonne vertébrale de cet opéra noir par excellence.
Dans le cadre des Mémoires du festival de printemps de l’Opéra de Lyon, qui ressuscitent trois spectacles mythiques des années 1980 et 1990 dont les metteurs en scène ne sont plus de ce monde, le choix a été fait de conserver cette donnée si singulière d’une production en son temps révolutionnaire. Partant, il fallait imaginer une distribution qui puisse lutter contre le surcroît de décibels provoqué par un exil orchestral hors de la fosse.
Pari gagné ce soir devant un plateau de choc, au premier rang de laquelle trône l’Elektra d’Elena Pankratova. Pour la première fois, un critique né à la charnière de 1980 peut entendre en scène un rôle-titre sans défaut majeur, au parfait point de jonction : timbre relativement séduisant, vibrato humain, projection idéale, intelligence dramatique, endurance à toute épreuve, excellent allemand et gestion parfaite des nuances, des grands aigus les plus assassins au haut-médium suspendu de la Reconnaissance d’Oreste. Bref, un côté bébé Birgit Nilsson absolument jubilatoire.
En face, Katrin Kapplusch sera une Chrysothémis plus sèche, d’une dignité froide cédant la place à une passion rongée par la culpabilité dans une émission nette, tranchante, sans le rayonnement éperdu des plus grandes straussiennes, avec une typologie vocale d’Elektra en devenir. Lioba Braun, avec cette étrange émission dans la gorge donnant l’impression d’avoir avalé un boa, est une Clytemnestre dans la mouvance expressionniste, monstre de foire plus que mère ravagée par le doute, mais d’un effet saisissant – das rechte Blut geflossen ist.
L’Égisthe tout mou de Thomas Piffka, d’un timbre diffus accentuant l’immaturité et la veulerie du personnage, à l’opposé des ténors de caractère, offre enfin un saisissant contraste avec le royal Oreste de Christof Fischesser, qui ne cherche jamais du côté de l’épaisseur wagnérienne, au profit d’une déclamation impitoyable, plus baryton que basse, l’émission devant, au service de la jeunesse du fils d’Agamemnon.
Tout ce beau monde est transcendé par la battue en angles saillants, sans temps mort, de Hartmut Haenchen (déjà aux commandes à la première en 1986), qui fuit toute guimauve jusque dans des retrouvailles du frère et de la sœur recto tono, dans la droite ligne d’une conception abrupte dès le premier accord, rapide, faisant baisser d’un cran la nuance à chaque entrée des chanteurs, laissant aux liaisons orchestrales les éclats les plus tonitruants, avec un Orchestre de l’Opéra de Lyon discipliné quoique moins affuté que celui du Capitole que le chef allemand avait porté sur les cimes à Toulouse en 2010.
Quant à la mise en scène, avec son monumental décor de structure industrielle aux allures de plongeoir raboté, qui dit toujours la préparation au grand saut dans le vide que constitue cet épisode des Atrides, elle sert le propos avec une forme de dépouillement typique de la machine à broyer du théâtre antique, d’une ascèse plutôt nouvelle dans les années 1980, instillant des postulats dont se sont inspirés tant de productions depuis, comme la difficulté d’Oreste à accomplir le double meurtre, chancelant au moment de tuer sa mère, poignardant in extremis son beau-père, au milieu de servantes donnant des coups de cravaches dans le vide, et face à une Elektra tardivement libérée de ses chaînes, endossant juste avant de tomber raide sur le sol le manteau d’hermine de son père trop longtemps usurpé par l’amant de sa mère.
Par-delà quelques détails vieillis dans la direction d’acteurs, un vrai miracle de conservation que cette production quasi intacte, qui reçoit un triomphe.
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Opéra national, Lyon Le 20/03/2017 Yannick MILLON |
| Recréation d’Elektra de Strauss dans la mise en scène de Ruth Berghaus, sous la direction de Hartmut Haenchen à l’Opéra de Lyon. | Richard Strauss (1864-1949)
Elektra, tragédie en un acte (1905)
Livret de Hugo von Hofmannsthal d’après Sophocle
Chœur et Orchestre de l’Opéra national de Lyon
direction : Hartmut Haenchen
mise en scène : Ruth Berghaus
décors : Hans Dieter Schaal
costumes : Marie-Luise Strandt
Ă©clairages : Ulrich Niepel
reprise de la mise en scène : Katharina Lang
préparation des chœurs : Philip White
Avec :
Lioba Braun (Clytemnestre), Elena Pankratova (Elektra), Katrin Kaplusch (Chrysothémis), thomas Piffka (Égisthe), Christof Fischesser (Oreste), Bernd Hofmann (le Précepteur d’Oreste), Pascale Obrecht (la Confidente), Marie Cognard (la Porteuse de traîne), Patrick Grahl (Un jeune serviteur), Paul-Henry Vila (un vieux serviteur), Christina Nilsson (la Surveillante), Anthea Pichanick, Rebekka Stolz, Catalina Skinner-Moreno, Géraldine Naus, Marianne Croux (les Cinq servantes). | |
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