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CRITIQUES DE CONCERTS |
21 décembre 2024 |
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RĂ©cital du pianiste Ivo Pogorelich Ă la salle Gaveau, Paris.
L’au-delà de Pogorelich
Vers quelles profondeurs, vers quel infini nous emmène ce pianiste hors norme ? Sa sonorité exceptionnelle pénètre comme nulle autre l’âme secrète des œuvres qu’il nous offre. Si les pianistes stupéfiants sont rares, unique est ce pianiste envoûtant, qu’il joue Chopin, Mozart, Schumann ou Rachmaninov.
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La soirée commence dans la plus grande simplicité. Sur la scène, un homme en survêtement, bonnet enfoncé jusqu’aux oreilles, méconnaissable, répète lentement, sans bruit, encore et encore, les mêmes trois mesures cependant que commence à entrer le public. Quitte le piano à 20h15.
Ivo Pogorelich revient en habit, toujours aussi beau, salue, et tranquillement donne naissance à la Deuxième Ballade de Chopin. Un mystère environne douceur et force. La poésie s’épanouit, des rafales d’octaves la déchirent, les basses épousent la virtuosité hardie, le calme revenu cerne l’errance. Quel miracle donne à l’élasticité des accords une telle résonnance ? Quelle magie nuance ainsi les sonorités du toucher ?
Tout hâte dépassée, le pianiste maintenant quinquagénaire irradie le temps dont il transcende la spiritualité des œuvres qu’il a choisies pour son dernier récital. Le Scherzo n° 3 succède à la Ballade. La puissance immédiate du jeu impose naturellement son pouvoir, le choral sa chaleur, les arpèges se magnifient avec une telle aisance qu’on en oublie les périls. Con fuoco, les traits finals ne s’emballent pas pour autant. La pureté du jeu ignore la moindre surenchère.
Ivo Pogorelich suscite la diversité du Carnaval de Vienne sans faillir à cette probe maîtrise. Débauche de couleurs, fête brillante, syncopes enivrées, les accords somptueux jalonnent de leurs émergences un climat qui garde néanmoins des profondeurs minérales. Aux résonnances orchestrales se joignent des intermèdes aux phrases détachées mais liées, des amusements sans la moindre lourdeur.
Une Romance s’en échappe, légère et profonde nous ramène dans l’intimité de Schumann. Sa mélancolie s’évade hors du réel avant que le poète ne multiplie les sombres apparitions, brouille volontairement leurs traits sous un jeu de pédale savant. Insolemment inquiétantes, ces fantasmagories subjuguent l’imagination.
La calme autorité, l’assurance tranquille, la richesse des timbres, l’aisance et la sobriété de ce jeu magistral, la grandeur de son engagement donnent à la Fantaisie en ut mineur de Mozart son intériorité la plus dense. L’émotion y est captivante. Comment une note seule peut-elle ainsi chanter vers l’infini ? Sans aucune pédale, la naissance et la vie de ces notes solitaires mais jamais isolées, la rondeur des attaques, la plénitude des forte, l’agitation passagère de triolets audacieux, la clarté de l’harmonie révèlent le lyrisme de ce Mozart secret. Le temps donné au temps, la partition échappe à toute contrainte. Vers quel au-delà le compositeur et son interprète nous emmènent-ils ?
Et dans quel monde évolue la Sonate n° 2 de Rachmaninov ? Accords gonflés de sensualité, pénétrations décisives des martèlements, tumultes aux somptueuses résonnances, rêves éveillés, contemplations captivantes prolongent leurs humeurs. Tel un sage en méditation, le pianiste laisse venir les chants dont il retourne l’âme aux mortels. Envoûtante lenteur. Irradiées d’une lumière intemporelle, les sonorités naissent et vivent ce que vivent les miracles. Les bouleversements d’un Finale au questionnement incessant, basses et hauteurs en quête de leur fusion, donnent à Rachmaninov une ampleur inédite.
La Valse triste de Sibelius, presque immobile avant de s’animer peu à peu et de s’enraciner, dramatiquement prisonnière privée de tout élan, est le bis bouleversant que nous offre Pogorelich.
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Salle Gaveau, Paris Le 28/03/2017 Claude HELLEU |
| Récital du pianiste Ivo Pogorelich à la salle Gaveau, Paris. | Frédéric Chopin (1810-1849)
Ballade n° 2 op. 38 en fa majeur
Scherzo n° 3 op. 39 en ut# mineur
Robert Schumann (1810-1856)
Carnaval de Vienne op. 26
Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791)
Fantaisie KV 475 en ut mineur
Sergei Rachmaninov (1873-1943)
Sonate pour piano n° 2 op. 36
Ivo Pogorelich, piano | |
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