Exceptionnellement un samedi, le concert hebdomadaire du Philharmonique de Radio France a été décalé cette semaine au 1er avril, par hasard également le jour de l’anniversaire de Mikko Franck, qui fêtait pour l’occasion ses 38 ans.
Après Die Tote Stadt de Korngold l’an passé, abandonné par le chef finlandais à Paris mais dirigé depuis à Vienne, Mikko Franck s’attaque à l’avant dernier opéra de Leoš Janáček, Věc Makropulos. En version de concert, le drame musical fantastique autour d’une femme possédant une formule lui permettant d’avoir vécu et attiré les hommes depuis trois cents ans souffre quelque peu de ne pas être mis en scène, laissant alors seulement la musique porter les sensations de malaise et de sensationnel.
Orchestralement, le Philharmonique de Radio France au grand complet libère une masse symphonique quasi impossible en fosse, puisqu’il joue ici dans une formation classique dédiée à une grande symphonie, avec huit contrebasses, dix violoncelles, douze altos et trente violons. Cette densité crée dès le prélude une chaleur inhabituelle à l’œuvre, renforcée par la patte sonore du chef, dont la douceur semble d’abord plus amener vers les contrées nordiques de Sibelius ou Nielsen que vers l’Est de Janáček.
Il faut attendre l’intervention des flûtes et surtout du piccolo pour retrouver une force dans l’aigu et des couleurs plus adaptées à la musique tchèque, puis que les premiers violons gagnent en nervosité, ce à quoi jamais les cordes graves ne parviendront dans cette lecture. Peuvent alors s’épanouir la suavité des phrases lyriques et la délicatesse des moments d’amours, tout particulièrement au dernier acte et lors du solo d’alto tiré du quatuor Lettres intimes. À l’inverse, le son n’est jamais assez franc ni assez cassant pour dynamiser les moments de doutes et de tensions, malgré de superbes trompettes soutenues par trois magnifiques trombones.
Au chant, outre une belle intervention finale du chœur d’hommes, on retrouve une distribution mêlant chanteurs tchèques et français peu connus, les rôles des différents amants étant trop courts pour séduire de grands noms ; seul le rôle-titre féminin étant suffisamment important pour intéresser les sopranos dramatiques comme naguère Elisabeth Söderström, et ce soir tenu par Laura Aikin après avoir ces dernières années été développé par Angela Denoke, Ricarda Merbeth, ou encore Evelyn Herlitzius.
Laura Aikin revient donc à un personnage qu’elle tenait en 2015 sur la scène viennoise, avec une voix posée dans des médiums sombres mais pour laquelle on regrette l’absence de clarté de l’aigu, où elle monte en force au III, sans le tenir toujours au II. Des deux autres rôles féminins, beaucoup plus courts, on retient surtout le chant joliment timbré de la jeune mezzo-soprano Chloé Briot (Krista), tandis que l’alto Marie-Hélène Gatti tient par sa voix dure une Femme de chambre crédible scéniquement, même si l’on est ici en pure version de concert avec les partitions présentes devant les chanteurs.
Des hommes se démarquent dès sa première intervention le Vitek engagé de Jan Vacik, si dynamique que même lorsqu’il ne chante pas, il possède les mimiques qu’il dont il aurait besoin sur un plateau à la découverte du secret d’Emilia Marty. Raymond Véry en Albert Gregor convainc moins que Prus père et fils, le ténor Aleš Voráček et surtout le baryton Svatopluk Sem, droit dans la projection et chatoyant dans le médium. Le Dr Koletany trouve également avec Gustav Beláček un artiste idéal, bien assis dans des graves plutôt clairs, tandis que l’on retiendra aussi le petit rôle du machiniste, excellemment tenu par la basse Sylvain Levasseur, dont la clarté d’émission est impeccable.
Au jeu des opéras tchèques début XXe en version de concert, on aurait sans doute préféré le rare Matka d’Alois Hába ou Šárka de Janáček plutôt qu’une œuvre que l’on commence à voir souvent dans les salles, car le véritable intérêt de la version de concert reste celui-ci : permettre d’entendre des œuvres dont les chanteurs ne veulent pas apprendre les textes pour la scène.
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