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CRITIQUES DE CONCERTS |
31 octobre 2024 |
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Reprise de Medea de Reimann dans la mise en scène de Marco Arturo Marelli sous la direction de Michael Boder à la Wiener Staatsoper.
Harpie moderne
En reprenant Medea d’Aribert Reimann dans la production d’Arturo Marco Marelli sept ans après sa création, l’Opéra de Vienne confirme l’importance du compositeur sur la scène lyrique actuelle, peu avant une nouvelle mise en scène de l’œuvre à Berlin, puis un nouvel opéra prévu en octobre dans la prochaine saison de la Deutsche Oper.
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Complicité artistique
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En 2010, l’Opéra de Vienne créait le onzième drame musical d’Aribert Reimann, compositeur surtout connu pour l’opéra Lear, commandé par Dietrich Fischer-Dieskau et créé à la Bayerische Staatsoper de Munich en 1978 avant d’être repris partout dans le monde dans de nouvelles productions, la dernière en date étant Paris la saison passée.
Basé sur le texte de Medea de Franz Grillparzer, dramaturge allemand né en 1791, soit seulement six années avant la Medea de Cherubini, et donc une centaine d’années après celle de Charpentier, Reimann façonne un livret concentré sur le drame et la violence autour de l’héroïne principale, à la manière d’une Elektra moderne. La musique s’en ressent et si elle fascine peut-être moins que celle de Lear, elle présente une technique de composition très identifiable, signe d’un style unique, non seulement dans le traitement tendu de la formation orchestrale, par la stridence des violons ou l’importance des grandes phrases aiguës des flûtes mais aussi par une écriture vocale très personnelle.
Michael Boder officie à la direction et retrouve donc l’œuvre qu’il a créée et enregistrée au DVD. Il maintient une ligne de tension durant les une heure cinquante minutes de l’ouvrage avec une battue rigoureuse et un suivi dramatique précis, coordonnant parfaitement scène et fosse tout en libérant l’Orchester der Wiener Staatsoper et la puissance maintenue de ses cordes pendant les phases purement orchestrales.
Sur scène, le seul encore présent depuis la création est le Jason d’Adrian Eröd, forcément plus aussi jeune de corps et de timbre, mais toujours très bien projeté et d’une belle ampleur dans le grave, en plus d’une bonne présence scénique, notamment dans l’émotion dégagée lorsqu’il est effondré à terre à la scène finale. Le rôle-titre n’est plus tenu par Marlis Petersen, mais par celle qui a immédiatement repris et enregistré pour Oehms la harpie l’année suivante à Francfort, une Claudia Barainsky élève du compositeur et habituée aux difficiles partitions atonales, en plus d’avoir déjà chanté le rôle principal de Melusine, autre opéra de Reimann.
La soprano allemande en guenilles à la façon de la meurtrière de Strauss est accompagnée de sa servante Gora, ici la mezzo-soprano Monika Bohinec, de l’Ensemble de Vienne, bien posée dans le bas du spectre. Présentées comme deux sauvages tentant de s’intégrer aux Grecs, ces femmes sont parées d’habits de couleurs bleues-rouges vives agencés par Dagmar Niefind, dans la production, les décors et les lumières de Marco Arturo Marelli, ce metteur en scène posant l’action sur un sol de pierres volcaniques qui glisseront du fond de scène pour s’abattre sur les impies au dernier tableau.
En hauteur, les murs de Corinthe inaccessibles aux Colchides sont représentés par un cube blanc pendu au plafond, dont l’accès ne se fait que par des escaliers lorsqu’ils veulent bien apparaître, ou lorsque son socle s’abaisse pour se mettre au niveau du peuple rejeté, exhibant crânement une harpe que Medea abattra d’un geste de colère. Signe de richesse, les grecs sont mieux habillés, vêtus de blanc avec de grandes robes, comme celles de Kreusa, ici joueuse et espiègle grâce à Stephanie Houtzeel ; et de grands manteaux, comme ceux du Créon de Norbert Ernst, habile dans la gestion des hauteurs en plus d’exposer parfaitement la dureté de son personnage.
À cette distribution, il faut ajouter le contre-ténor japonais Daichi Fujiki, qui tient un Herold à la voix pas tout à fait assez puissante pour la grande salle autrichienne, bien qu’intéressante dans la diction et les variations du chant dans le suraigu. Cette soirée de caractère rend pleinement justice à l’œuvre et à sa composition de qualité, pour laquelle on attend avec intérêt une autre mise en scène très prochainement à la Komische Oper Berlin, avant la création de l’Invisible à la fin de l’année.
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