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CRITIQUES DE CONCERTS |
31 octobre 2024 |
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RĂ©cital de Martha Argerich et Stephen Kovacevich dans le cadre de Piano**** Ă la Philharmonie de Paris.
Deux pianos en un seul
Martha Argerich, Stephen Kovacevich : deux noms dont le prestige suffit à remplir la grande salle Pierre Boulez de la Philharmonie de Paris. Deux musiciens voués corps et âme aux compositeurs qu’ils ressuscitent. Ce soir, Debussy et Rachmaninov sont ceux qu’ils nous invitent à retrouver et redécouvrir avec eux dans un bonheur lumineux.
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Complicité artistique
Sombre Volga
Hommage au réalisme poétique
[ Tous les concerts ]
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Côte à côte, leurs deux pianos ne font qu’un. Leur jeu de même fusionnel, Martha Argerich et Stephen Kovacevich nous enchantent le temps d’une soirée exceptionnelle. De Debussy, ils ont choisi de nous offrir la musique à l’état pur. La sonorité limpide, ses nuances de couleurs, la spontanéité édénisent le Prélude à l’après-midi d’un faune. Au-delà de toute image, ce sont les rêves et les désirs qu’évoque le poème né sous les doigts des pianistes. Douceur, ardeur, évanescence, incandescence grisent l’auditeur. Le toucher dévoile la subtilité des timbres, la liberté de l’écriture, le raffinement de l’imagination. D’un piano à l’autre, nimbées d’un halo de pédale, les sonorités s’irisent sous une même lumière. Peu importe les mots de Mallarmé, les harmonies ainsi sensibilisées prolongent leur pouvoir.
Les contrastes d’En blanc et noir, composé en pleine Première Guerre mondiale (1915) par un Debussy malade, succèdent aux charmes de l’œuvre de jeunesse. Autres climats, autres émotions, mais toujours même complicité des deux pianistes au fil des trois pièces que le compositeur signe désormais Claude de France. La première, Avec emportement, porte un exergue tiré du Roméo et Juliette Gounod : « Qui reste à sa place – Et ne danse pas – De quelques disgrâce – Fait l'aveu tout bas », allusion à son amertume de ne pouvoir participer aux combats. Habitée par le couple qui l’interprète, son expressivité complexe tient de l’épure tant la virtuosité claire, les attaques détachées, les rythmes précis et légers se passent le relais ou se confondent en un feu d’artifice d’une rare clarté polyphonique.
La deuxième pièce, Lent – Sombre, est dédiée au lieutenant Jacques Charlot (neveu de Jacques Durand, l’éditeur de Debussy), tué à l’ennemi en 1915. « Prince, porté soit des serfs Eolus – En la forêt où domine Glaucus – Ou privé soit de paix et d’espérance – Car digne n’est de posséder vertus – Qui mal voudroit au Royaume de France », la Ballade contre les ennemis de la France, de Villon, annonce la tragédie. Argerich et Kovacevich partagent sa véhémence douloureuse, la profondeur du toucher aussi naturelle que bouleversante.
Dédiée à l’ami Igor Stravinski, la troisième pièce, Scherzando, est aussi naturellement éblouissante. Aux deux pianos les acrobaties techniques fusent, se provoquent, semblent improviser une volubilité dont les imprévus se ravissent mutuellement. Jusqu’à la fin en suspens, tel un point d’interrogation qui nous laisse à des sommets d’interprétation.
Lindaraja conclut d’une sensualité délicieuse ce bonheur avec Debussy. Langoureuse, du grave à l’aigu, la danse se balance sur un rythme de habanera entre les deux claviers. Soirée dans Grenade réalisera la forme accomplie de cette courte pièce qui nous ravit plus simplement.
Avec de tels interprètes, l’envergure des Danses symphoniques de Rachmaninov s’épanouit évidemment en seconde partie du programme. Cet art de la sonorité exceptionnel que possèdent les deux complices pénètre l’énergie bondissante des frappes aérées, notes répétées élastiques, la détermination mais aussi la nostalgie du Non allegro, les dissonances, les faux départs d’une valse lente étrangement mélancolique troublant les pulsions de l’Andante con moto.
À ces deux mouvements succède un Lento assai - Allegro vivace - Lento assai tel un couronnement. La richesse de ses résonnances, la spatialisation orchestrale de sa puissance, les chocs qu’affronte sa course haletante, la diversité des timbres voués aux enchaînements harmoniques nous mènent à un Dies irae envoûtant. Évasions, émotions, surprises, intimisme se marient pour le meilleur d’un lyrisme transcendé par sa transparence. Sans que jamais rien ne les charge ni ne les alourdisse, Martha Argerich et Stephen Kovacevich donnent tout à entendre des effusions de ce chant du cygne d’un pianiste-compositeur septuagénaire, trois ans avant sa mort.
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Philharmonie, Paris Le 22/04/2017 Claude HELLEU |
| RĂ©cital de Martha Argerich et Stephen Kovacevich dans le cadre de Piano**** Ă la Philharmonie de Paris. | Claude Debussy (1862-1918)
Prélude à l’après-midi d’un faune pour deux pianos
En Blanc et noir
Lindaraja
Sergei Rachmaninov (1873-1943)
Danses symphoniques pour deux pianos op. 45b
Martha Argerich & Stephen Kovacevich, pianos | |
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