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CRITIQUES DE CONCERTS |
21 décembre 2024 |
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Nouvelle production de Satyagraha de Glass dans une mise en scène de Sidi Larbi Cherkaoui et sous la direction musicale de Jonathan Stockhammer au Theater Basel.
Glass dans les nuages
Magistrale production du Satyagraha de Phil Glass au Théâtre de Bâle avec des forces musicales totalement investies et irréprochables tandis que le chorégraphe Sidi Larbi Cherkaoui a conçu une scénographie simple et impressionnante avec une troupe de danseurs absolument stupéfiants. Un spectacle qui atteint les sphères.
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Satyagraha fait partie de la trilogie d’opéras que Glass consacra à trois personnalités marquantes de l’histoire de l’humanité : le pharaon Akhénaton (Akhnaten), Albert Einstein (Einstein on the Beach) et Gandhi (Satyagraha). Il ne s’agit pourtant pas d’opéras au sens traditionnel mais d’une succession de tableaux indépendants, l’unité venant du thème de l’ouvrage et d’un langage fondé sur la répétition, la tonalité et un certain hypnotisme si on se laisse emporter par cette musique absolument fascinante.
On en vient donc ici à ne plus vraiment s’intéresser à ce que chantent (en sanskrit) les personnages – principalement des préceptes liés à la non-obéissance et à la résistance non-violente exercée par Gandhi ou d’autres figures comme Martin Luther King – tant l’essentiel réside dans la force du flux musical.
Sidi Larbi Cherkaoui, metteur en scène et chorégraphe de cette nouvelle production, offre donc des images et une chorégraphie stupéfiantes de beauté. Ne cherchant pas à imiter les danses classiques indiennes, il s’en inspire dans des mouvements de bras, de mains et de doigts tout à fait typiques et qui impressionnent lorsqu’ils sont exécutés en même temps par tous les acteurs présents sur le plateau, danseurs comme chanteurs.
Loin de chercher une synchronisation constante avec la musique, la chorégraphie semble parfois offrir des plages d’improvisation aux danseurs qui se lancent dans des mouvements rapides et brusques sur une musique lente et calme. Cherkaoui arrive en effet à parfaitement opposer la violence de certaines scènes au calme et à la sagesse de Gandhi.
Le résultat est d’une variété étonnante pendant trois heures et tire remarquablement parti d’un plateau superbement éclairé et dont les différents éléments sont mobiles grâce à des câbles qui les soulèvent partiellement ou totalement, à plat ou en forte pente (permettant notamment de voir les motifs créés par une peinture blanche répandue préalablement par les personnages). Le plus stupéfiant dans ce dispositif est que jamais les danseurs ne semblent gênés par cette forêt de câbles qui constituent pourtant autant d’obstacles.
Parmi les danseurs de la compagnie Eastman de Sidi Larbi Cherkaoui, tous exceptionnels, il convient cependant de distinguer Kazutomi Kozuki et Josepha Madoki, tous deux d’un charisme absolument renversant par l’intensité de leur engagement et l’émotion qui se dégage de leurs mouvements.
Un autre danseur est à louer : le chef Jonathan Stockhammer, qui sculpte la musique, alimentant sans cesse la concentration et l’implication des musiciens du Sinfonieorchester Basel pour une musique qui, tout minimaliste et répétitive qu’elle soit, n’en demeure pas moins d’une extrême difficulté dans l’endurance. On ne peut ainsi qu’être impressionné par la qualité de la prestation des musiciens et du chef qui permet au spectateur d’être totalement emporté par ce fleuve musical.
Gloire également au Chœur du Theater Basel décidément superbe de couleur, d’homogénéité de d’investissement scénique, au point qu’on n’identifie plus qui est danseur ou choriste dans certaines scènes. Les parties pourtant extrêmement exigeantes, notamment quand sont évoqués des rires avec force répétitions, sont exécutées avec un sentiment de facilité qui ne cesse d’étonner.
La troupe de chanteurs évolue sur les mêmes cimes, du soprano aérien de Cathrin Lange planant sur les ensembles à la basse d’Andrew Murphy en passant par le Gandhi admirable de Rolf Romei, voix idéale pour le rôle et implication scénique totale, même quand il est manipulé par les danseurs, gardant une ligne vocale intacte même la tête en bas.
On l’aura compris, la réussite est totale et le public le montre avec grande ferveur surtout après une scène finale où Ghandi chante seul sur le plateau suspendu, avec ses seules mains éclairées faisant des mouvements hypnotiques. On sort de ce spectacle sur un petit nuage qu’il est difficile de quitter.
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