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CRITIQUES DE CONCERTS |
21 décembre 2024 |
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Nouvelle production des Stigmatisés de Schreker dans une mise en scène de Krzysztof Warlikowski et sous la direction d’Ingo Metzmacher au festival d'été de Munich 2017.
Munich 2017 (1) :
L’artiste en paria
Pour ouvrir son festival d’été, la Bayerische Staatsoper ose programmer Die Gezeichneten de Schreker, un an avant de fêter le centenaire de la création de l’œuvre. Une fois les clés de lecture acquises, la mise en scène de Warlikowski passionne par son intelligence sans pourtant magnifier l’action, portée par le chef Ingo Metzmacher et la distribution.
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Bruno Walter a tout fait pour que la création des Stigmatisés ait lieu à Munich, mais elle intervint finalement à Francfort, pour n’être prévue que l’année suivante en Bavière, il y a presque cent ans. Ce siècle passé, Franz Schreker n’est pas resté très populaire, mais a réapparu à l’occasion avec cet ouvrage programmé ces dernières années à Salzbourg, Cologne, Lyon ou Los Angeles.
Les moyens mis en œuvre par le festival d’été de la Bayerische Staatsoper impressionnent et permettent une soirée de très haut niveau. Ingo Metzmacher dirige d’une main de maître au seul défaut près de ne pas réussir à alléger les cordes, ce que seul Kirill Petrenko sait faire avec l’épaisse machine wagnérienne, ici parfois trop lourde malgré le caractère évanescent de la partition et d’un célesta ou d’une harpe en apesanteur tout au long de la représentation. Pour le reste, Metzmacher sait tout autant concentrer le mystère du leitmotiv initial que faire ressortir les phrases lyriques et les thèmes empruntées à Puccini, à La Fanciulla surtout.
Le chef berlinois garde également la main sur la distribution et réussit dès cette première à tout coordonner. Catherine Naglestad donne à Carlotta une magnifique puissance grâce à une voix colorée et agile, superbe d’ampleur en même temps que capable de piani très contrôlés. Elle doit convaincre face à deux fantastiques barytons : Tomasz Konieczny en Adorno, posé dans les graves, souple dans le médium et intelligent dans la diction, et Christopher Maltman, ce soir d’une richesse de timbre égalée seulement par la projection et par une prestation scénique incroyable dans le rôle de Tamare.
Quatrième rôle d’importance et même le principal, John Daszak est Alviano, ici plutôt Joseph Merrick, dit Elephant Man. Le ténor semble tendu dans l’aigu mais reste plus que convaincant et possède désormais une prononciation précise à laquelle il faut adjoindre un jeu d’acteur très travaillé, notamment dans le monologue parlé ajouté par Warlikowski au début du III, évoquant une sorte de Gainsbourg allemand sur le tard, alcoolisé et névrosé. Alastair Miles complète la distribution avec une véritable clarté vocale, accompagné des seconds rôles tenus par la troupe, ainsi que par le chœur, parfaitement préparé.
Présenté à une journée de la reprise de la Femme sans ombre, ces Stigmatisés sont la troisième production de Krzysztof Warlikowski pour la maison bavaroise, et si Hans Neuenfels avait donné des rats à Bayreuth, le Polonais offre des souris à Munich, sans que l’idée soit du tout la même, bien que les têtes ajustées sur les chanteurs ressemblent aux costumes vus sur la Colline. Cette proposition tente une approche neuve du livret autour d’un double paradigme, celui de l’être hideux rejeté par la société – le stigmatisé –, et celui du rejet plus général de l’artiste. La première démonstration apparaît dès la première scène avec le physique déjà cité d’Alviano, réappliqué à d’autres références cinématographiques dans un musée devant les souris lors du dernier acte, avec de courts extraits de monstres célèbres : Nosferatu, le Golem ou encore le Fantôme de l’opéra.
La seconde idĂ©e se dĂ©veloppe Ă travers la figure de Carlotta, elle aussi rejetĂ©e, assimilĂ©e Ă l’artiste Marina Abramović, dont de nombreuses Ĺ“uvres sont reprĂ©sentĂ©es sur scène. Warlikowski tente donc d’expliciter la mise au ban, sans chercher Ă dĂ©velopper Ă outrance les images fortes ou mystĂ©rieuses, malgrĂ© les dĂ©cors toujours aussi fascinants de Małgorzata Szczęśniak dans des Ă©clairages de Felice Ross. Il utilise pour lier son propos la toute dernière nouvelle de Franz Kafka, oĂą la cantatrice JosĂ©phine fascine le peuple des souris bien qu’elle ne possède aucune qualitĂ© vocale sinon de sortir justement des cris de souris. Elle est Ă la fois très importante pour le peuple, qui finit pourtant par la rejeter et l’oublier. Sans doute ce paradoxe est-il celui d’un artiste incompris, Warlikowski lui-mĂŞme, et pour citer Kafka : « Nous admirons en lui ce que nous n’admirons pas en nous. »
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Nationaltheater, MĂĽnchen Le 01/07/2017 Vincent GUILLEMIN |
| Nouvelle production des Stigmatisés de Schreker dans une mise en scène de Krzysztof Warlikowski et sous la direction d’Ingo Metzmacher au festival d'été de Munich 2017. | Franz Schreker (1878-1934)
Die Gezeichneten, opéra en trois actes (1918)
Livret du compositeur
Kinderchor und Chor der Bayerischen Staatsoper
Bayerisches Staatsorchester
direction : Ingo Metzmacher
mise en scène : Krzysztof Warlikowski
dĂ©cors & costumes : Małgorzata Szczęśniak
Ă©clairages : Felice Ross
chorégraphie : Claude Bardouil
vidéos : Denis Guéguin
préparation des chœurs : Sören Eckhoff & Stellario Fagone
Avec :
Tomasz Konieczny (Herzog Antoniotto Adorno / Capitano di giustizia), Christopher Maltman (Graf Andrea Vitellozzo Tamare), Alastair Miles (Lodovico Nardi), Catherine Naglestad (Carlotta Nardi), John Daszak (Alviano Salvago), Matthew Grills (Guidobaldo Usodimare), Kevin Conners (Menaldo Negroni), Sean Michael Plumb (Michelotto Cibo), Andrea Borghini (Gonsalvo Fieschi), Peter Lobert (Julian Pinelli), Andreas Wolf (Paolo Calvi), Paula Iancic (Ginevra Scotti), Heike Grötzinger (Martuccia), Dean Power (Pietro), Galeano Salas (Ein Jüngling), Milan Siljanov (Dessen Freund), Selene Zanetti (Ein Mädchen), Ulrich Reß, Christian Rieger, Kristof Klorek (Senator), Milan Siljanov (Diener). | |
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