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CRITIQUES DE CONCERTS |
21 décembre 2024 |
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Concert de musicAeterna sous la direction de Teodor Currentzis, avec la participation de la violoniste Patricia KopatchinskaĂŻa au festival de Salzbourg 2017.
Salzbourg 2017 (1) :
Tout le monde se lève pour Currentzis
Pour leur première apparition à Salzbourg, les instrumentistes sibériens de musicAeterna et l’excentrique Teodor Currentzis reçoivent une standing ovation avec un magnifique programme où après un concerto de Berg atomisé, le maestro gréco-russe réinvente une Titan de Mahler inouïe de nuances et de rubato, jouée et applaudie débout.
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Avec ses tenues de cuir, sa taille immense et sa voix caverneuse, Teodor Currentzis ne passe pas inaperçu. Musicalement non plus, par sa manière de constamment couper les cheveux en quatre. Une personnalité qui dérange, aussi détestée que vénérée partout où elle passe. Avec l’orchestre sibérien qu’il a fondé dans les rangs de l’Opéra de Perm, le voilà qui déferle sur Salzbourg, où le public le plus snob du monde se lâche en une standing ovation.
Après Titus et le Requiem de Mozart, musicAeterna et son chef arpentent les grandes allées symphoniques. Et déclenchent d’emblée un incident, quand les musiciens accordés commencent à préluder dans le style du Concerto à la mémoire d’un ange de Berg afin d’éviter des applaudissements pour l’entrée de la soliste sur la scène du Manège des rochers. Une outrecuidance tancée depuis la salle par un « lächerlich ! » (ridicule) accueillant une Patricia Kopatchinskaïa pieds nus, dans une robe blanche mi-ange mi-mariée.
Dans ce concerto de 1935 écrit à la mémoire de la jeune Manon Gropius, fille d’Alma Mahler, Currentzis se lance dans une fragmentation, une atomisation même de la matière sonore à la Webern, en petites touches aux limites du silence, celles d’un monde lointain, flou, qui semble d’emblée l’au-delà , dans une texture effleurée et des suspensions viennoises où l’instrument concertant n’est qu’un soliste parmi d’autres.
Dans cette atmosphère stellaire, aux teintes violonistiques blafardes, vibrato fantôme et sons droits, les coups de boutoir du deuxième mouvement se font crucifiants, avant le choral Es ist genug, qui s’insinue avec la plus infinie douceur dans une masse sonore déjà dégraissée, aux cuivres diaphanes comme des flûtes. À l’entracte, on a toutes les peines du monde à redescendre sur terre.
C’était sans compter sur une Titan de Mahler forte d’un même souci de ramener la dynamique aux véritables indications de la partition, loin du mezzo-forte potelé que la routine a fini par imposer jusque dans les meilleures formations orchestrales, avec ce soir une stratification des timbres et des nuances totalement repensée, doublée d’un important rubato dans la mouvance décadente sécessionniste.
Dans une introduction étale, on redécouvre une partition dont l’éveil de nature très progressif du mouvement liminaire n’avait été tenté à ce degré que par Jascha Horenstein. L’occasion également de mesurer la symbiose entre Currentzis et ses musiciens, qui lui mangent dans la main, la moindre inflexion du geste immédiatement répercutée dans des chants d’oiseaux d’une modernité folle.
Dans le Ländler, phrasés courts, attaques au talon et trois temps fortement inégalisé cèdent la place à une partie centrale au sourire triste, avant un mouvement lent aux passages tziganes géniaux, d’une gestion de la polyrythmie, d’un déhanchement yiddish, d’un sanglot plus vrais que nature grâce à une décomposition du geste millimétrée. Sans oublier un écho des Gesellen-Lieder embrumé, aux violons détimbrés absolument bouleversants.
Malgré un son d’ensemble en deçà des meilleures phalanges mondiales, musicAeterna n’en propose pas moins des pupitres anthologiques, dont une flûte pure comme une eau de montagne, sans le moindre vibrato parasite, et des cuivres osant l’infiniment petit, comme cette trompette brillante et droite dans les tutti, qui s’invente un léger vibrato dans les épisodes bohémiens.
Et si Currentzis va très loin dans l’impalpable (les violoncelles), jamais il n’écrase la dynamique du Finale, concentré sur des avalanches de cordes diaboliques, où la montée plusieurs fois avortée vers la coda est graduée avec un sens inné, fruit d’un travail de fond opéré en Sibérie par des musiciens collectifs et dévoués jusqu’à accepter de jouer cette deuxième partie debout, avec un résultat fascinant, intact en bis dans un Adagietto de Cinquième Symphonie là encore au rubato poussé dans ses retranchements.
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Felsenreitschule, Salzburg Le 10/08/2017 Yannick MILLON |
| Concert de musicAeterna sous la direction de Teodor Currentzis, avec la participation de la violoniste Patricia KopatchinskaĂŻa au festival de Salzbourg 2017. | Alban Berg (1885-1935)
Concerto pour violon « Dem Andenken eines Engels » (1935)
Patricia KopatchinskaĂŻa, violon
Gustav Mahler (1860-1911)
Symphonie n° 1 en ré majeur « Titan » (1888)
musicAeterna
direction : Teodor Currentzis | |
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