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CRITIQUES DE CONCERTS |
21 décembre 2024 |
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Nouvelle production de Wozzeck dans une mise en scène de William Kentridge et sous la direction de Vladimir Jurowski au festival de Salzbourg 2017.
Salzbourg 2017 (2) :
Wozzeck dans les tranchées
Absent de Salzbourg depuis vingt ans, Wozzeck fait son grand retour grâce au nouveau patron du festival Markus Hinterhäuser, dans une mise en scène de William Kentridge évoquant le cauchemar de la Première Guerre mondiale. Une vision déshumanisée au même degré que la direction analytique de Vladimir Jurowski, face à un plateau où seul le rôle-titre déçoit.
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Pilier lyrique incontournable, Wozzeck n’a pourtant été à l’affiche de Salzbourg que dans trois productions depuis sa création, la dernière en date, par le tandem Stein-Abbado, remontant à 1997, sous Gerard Mortier. Il est donc réjouissant de voir le génial opéra de Berg de nouveau programmé dans la ville de Mozart, dès la première année du nouveau directeur Markus Hinterhäuser, héritier de l’intendant belge.
Après le Nez et Lulu, on commence à bien connaître l’univers du plasticien sud-africain William Kentridge, dont les installations scéniques couvertes de collages vidéo de ses propres dessins créent des scénographies fascinantes. Cette fois encore, l’interaction jusqu’à la saturation entre scène et vidéo crée un climat difficilement respirable parfaitement en adéquation avec le sujet de Wozzeck : l’inhumanité du monde militaire et la fatalité broyant les petites gens.
Inspirée tant de la pièce de Büchner que du pessimisme des Derniers Jours de l’humanité de Karl Kraus, la mise en scène peint autant de visions de cauchemar de la Grande Guerre dans des dessins au fusain de visages hagards, d’éclopés, de gueules cassées, de forêts ravagées par les bombardements, de passages de Zeppelin, de cités des Flandres en ruines, où les rares couleurs, aveuglantes comme des flashs, sont celles des explosions de l’artillerie lourde.
Berg, mobilisé en 1915 à la frontière hongroise, commença à travailler sur la partition deux ans plus tard, marqué par le conflit au point de se sentir comme l’anti-héros de son opéra ; parfaitement à propos, ce dispositif scénique enchevêtré, synonyme de danger imminent, culmine dans quelques images à même de hanter la mémoire, comme cette foule de soldats zombies dansant avec des chaises, ce cabinet claustrophobe du Docteur dans une armoire, ou ce fils de Marie sous forme d’une petite marionnette à masque à gaz.
Refusant toute psychologie, cette vision écrasante occupant tout le cadre de scène relativement modeste de la Haus für Mozart peut rebuter, mais abonde dans le même sens que la direction analytique jusqu’à l’inhumain de Vladimir Jurowski, certes exceptionnelle, mais qui resterait bien aride sans les sortilèges sonores d’une Philharmonie de Vienne en état de grâce, aux cordes riches d’harmoniques d’un raffinement inouï.
Déplaçant comme la mise en scène le climax de l’ouvrage en son centre – quand le Docteur et le Capitaine confirment à Wozzeck son soupçon sur l’adultère de Marie –, le chef russe, dont le geste, très instrumental, n’est pas guidé en priorité par les mots, délivre ses meilleurs coups de griffe au II, abordant le III avec une clarté horizontale confinant à la froideur, sans suspensions expressives, filant droit, refusant même, hormis sur l’apogée de l’Interlude en ré mineur, toute violence par la verticalité.
Une distribution de haut vol vient parachever cette production, à l’exception du rôle-titre de Matthias Goerne, dont l’art de la déclamation, la beauté du fausset ne compensent pas une voix désespérément grise peinant à passer la rampe, qui finit par laisser totalement de marbre, surtout face à une Marie aussi ardente que la jeune Asmik Grigorian, format idéal de soprano lyrique à l’aigu cristallin façon Lulu, trouvant un parfait point d’équilibre entre Sprech- et Gesang.
Aucune réserve non plus sur l’Andrès juvénile de Mauro Peter, rayonnant à souhait dans cet univers enténébré, le Docteur ogresque de Jens Larsen, d’une couleur à la Franz Mazura, le Tambourmajor éclatant de pure énergie sexuelle de John Daszak, ou encore le Capitaine effrayant de puissance de Gerhard Siegel, d’un sadisme absolu.
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Haus fĂĽr Mozart, Salzburg Le 14/08/2017 Yannick MILLON |
| Nouvelle production de Wozzeck dans une mise en scène de William Kentridge et sous la direction de Vladimir Jurowski au festival de Salzbourg 2017. | Alban Berg (1885-1935)
Wozzeck, opéra en trois actes et quinze scènes (1925)
Livret du compositeur d’après le Woyzeck de Georg Büchner (1837)
Salzburger Festspiele und Theater Kinderchor
Konzertvereinigung Wiener Staatsopernchor
Angelika-Prokopp-Sommerakademie der Wiener Philharmoniker
Wiener Philharmoniker
direction : Vladimir Jurowski
mise en scène : William Kentridge
décors : Sabine Theunissen
costumes : Greta Goiris
vidéo : Catherine Meyburgh
éclairages : Urs Schönebaum
préparation des chœurs : Ernst Raffelsberger & Wolfgang Götz
Avec :
Matthias Goerne (Wozzeck), John Daszak (Tambourmajor), Mauro Peter (Andres), Gerhard Siegel (Hauptmann), Jens Larsen (Doktor), Tobias Schabel (1. Handwerkbursche), Huw Montague Rendall (2. Handwerkbursche), Heinz Göhrig (Der Narr), Asmik Grigorian (Marie), Frances Pappas (Margret). | |
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