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CRITIQUES DE CONCERTS |
21 décembre 2024 |
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Schuberts Winterreise, spectacle de Jasmina Hadziahmetovic autour du Voyage d’hiver de Schubert dans l’orchestration de Hans Zender à l’Opéra Comique, Paris.
Un voyage divers
Proposition originale et enthousiasmante que ce Schuberts Winterreise orchestré par Hans Zender à la salle Favart avec Julian Prégardien et l’Intercontemporain. Un résultat scénique et musical mitigé ne gâchera pas une réécriture personnelle et questionnante d’une œuvre qui semble résister à tous les traitements. Insolite et malgré tout fascinant.
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On dit souvent que Bach résiste à tout : l’Art de la fugue pour quatuor de saxophone tiendrait la route, comme si la question superficielle du style ne suffisait pas à épuiser la profondeur universelle de l’œuvre. On plane à n’en pas douter aux mêmes célestes altitudes avec le Voyage d’hiver, et la performance de ce soir en est une illustration parfaite.
Le concept de Hans Zender est à peu près incontestable, utilisant le cycle de Schubert comme matériau élastique sujet à toutes les variations – tempo et rythme, répétition, transposition, parlé-chanté, désynchronisation, boucles, dynamiques, et bien sûr instrumentation – mais revenant imperturbablement à l’œuvre originale, tournant autour à la manière du Nu descendant l’escalier de Duchamp.
Intelligente (le travail sur le pré-leitmotiv schubertien, les réminiscences de l’ordre des poèmes chez Müller avec préfiguration de Die Post après Der Lindenbaum) et imaginative (le collage initial, la texture spectrale de Die Nebensonnen, la machine à vent), cette réinterprétation est appuyée par la mise en scène de Jasmina Hadziahmetovic, qu’on pourra trouver d’une froide modernité, même si elle rejoint la démarche du compositeur visant à rapprocher Schubert de nous.
Des stores, un lit faisant office de cercueil pour le voyageur et ses souvenirs esquissent une petite chambre blanche perdue sur le plateau de Favart, avec pour seules touches de couleur la robe jaune de la bien-aimée, les photophores rouges avec lesquels le voyageur tracera la flèche du Wegweiser, et pour toute verdure des images infrarouges de trafic routier : c’est bien ici la solitude de l’homme moderne le sujet.
Dérangeant, soulevant des questions, le dispositif accuse malgré tout quelques limites : d’abord celle de principe qu’on ne « [rendrait] pas justice » au Winterreise en l’exécutant « de la façon la plus conventionnelle qui soit, avec deux hommes en frac et un Steinway sur une immense scène. » On peut contester la formulation, comme si réécrire la musique (suprême paradoxe) dans le style de Zender et l’exécuter avec un orchestre également en frac dans une immense fosse d’orchestre était la solution.
Mais la réécriture achoppe surtout sur l’irréductible achèvement de la sobre écriture pour piano. Ou alors est-ce l’Ensemble Intercontemporain, ou Thierry Fischer, qui sont en déroute ce soir ? Dès Gute Nacht, et pour toute la soirée, la mise en place est problématique, sur des œufs en permanence, tempo instable, synchronisation approximative ; cette simple petite figure de la marche qui ouvre le cycle ne marche plus, elle titube sur des accords jamais ensemble, pour ne rien dire des accord finaux, obsédés par le tempérament égal au point de nier toute pureté dans l’intonation.
C’est ainsi sur un tapis d’individualités virtuoses mais collectivement bien glacial qu’évolue Julian Prégardien, interprète idéal du cycle, engagement sans faille, présence physique abandonnée et hagarde, sur le fil de la folie, le timbre de son père avec une émission un rien plus opératique, autrement dit moins extraordinaire à la fois dans ses limites et dans ses qualités ; assumant les aspects les plus divers de la mise scène (dont le travestissement et la rencontre avec l’ombre projetée du Leiermann), il propose une interprétation glaçante, émaillée de Sprechgesang et de violence.
Toute cette recréation autour de Schubert et Müller séduira plus ou moins ; ce qui est sûr, c’est que la modestie de l’œuvre qui sert de cœur à ce développement, la simplicité du noyau, en ressort avec la même parfaite simplicité intacte, signe de l’inépuisable force de ce chef-d’œuvre.
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Opéra Comique - Salle Favart, Paris Le 24/11/2017 Thomas COUBRONNE |
| Schuberts Winterreise, spectacle de Jasmina Hadziahmetovic autour du Voyage d’hiver de Schubert dans l’orchestration de Hans Zender à l’Opéra Comique, Paris. | Franz Schubert (1797-1828)
Winterreise
Orchestration de Hans Zender
Production Les Théâtres de la ville de Luxembourg
Julian Prégardien, ténor
Ensemble Intercontemporain
direction : Thierry Fischer
mise en scène : Jasmina Hadziahmetovic
décors : Hella Prokoph
vidéo : Frieder Aurin | |
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