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CRITIQUES DE CONCERTS |
21 décembre 2024 |
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CrĂ©ation française d’Only the sound remains de Saariaho dans une mise en scène de Peter Sellars et sous la direction d’Ernst MartĂnez Izquierdo Ă l’OpĂ©ra de Paris.
Pas peur du vide
Spectacle fascinant, Only the sound remains marque un nouvel accomplissement dans le travail d’équipe de Kaija Saariaho et Peter Sellars. Parfaitement servie par des interprètes évocateurs, cette proposition sensuelle et contemplative plonge le spectateur dans un mystère épuré, tantôt angoissant, tantôt envoûtant. Une expérience captivante aux confins du vide.
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Deux chanteurs solistes, une danseuse, un orchestre réduit à un quatuor vocal et sept instrumentistes, et bien sûr le traitement du signal, Kaija Saariaho a su trouver l’exacte matière sonore épousant la lecture mystérieuse que fait Peter Sellars des deux pièces Nô (dans la traduction réputée plutôt lacunaire d’Ernest Fellonosa et Ezra Pound) qui servent de base à ce nouvel opéra imaginé par ce tandem très à l’unisson.
Autant en effet l’intrigue, tel un haïku théâtral, peut se réduire à une rencontre mystérieuse entre le matériel et le spirituel, entre le monde des hommes et celui des esprits, autant la musique imaginée par la Finlandaise tuile, enchevêtre, dissout les voix dans leur résonance, les timbres instrumentaux dans leur spectre harmonique, superpose les phrasés courts de cordes aux percussions réverbérées par l’informatique, le souffle de la flûte et celui des voix ; on pourrait parler de crépuscule sonore, un entre chien et loup où l’on ne distingue plus l’objet de son reflet, l’instrument de son écho électronique, la voix humaine de la résonance.
Sellars connaît très bien le Nô, le pratique volontiers, et est à l’origine du choix du livret de la pièce ; sensible à la temporalité exceptionnellement contemplative de ce genre qui évolue aux confins du vide, il insuffle au spectacle une dimension hypnotique par le jeu des acteurs, ritualisé, obsessionnel, stylisé, le travail exemplaire sur les lumières de James F. Ingalls, riche d’ombres portées, de fantômes qui se confondent, de présences chimériques, et la scénographie de Julie Mehretu aux allures de gigantesque calligraphie imaginaire.
Ă€ l’inquiĂ©tant Tsunemasa, oĂą une inextricable partition de flĂ»te basse aux allures de soupir ininterrompu venu de l’autre monde le dispute Ă une Ă©criture foisonnante du kantele Ă©voquant le koto, première partie toute baignĂ©e de mystère, de pressentiment plus que d’apparition, rĂ©pond un Hagoromo fascinant, piccolo dans l’esprit des stridences de la musique Gagaku et des chants d’oiseau, dont la lumière culmine dans une danse finale Ă couper le souffle, pas tant par son rythme irrĂ©pressible que par un phĂ©nomène acoustique d’ascension dans une matière raffinĂ©e jusqu’au cĂ©leste par le geste d’Ernest MartĂnez Izquierdo.
Entre le théâtre d’ombres de la première partie, soulignant l’engagement puissant du baryton Davóne Tines, félin et haletant, troublé par la présence juvénile de Philippe Jaroussky, et la lumineuse rencontre d’un pêcheur avec un esprit de la lune qui a égaré son manteau miraculeux – un kimono de pure transparence –, l’œuvre invite à la contemplation du mystère, de la beauté, loin de toute psychologie, et l’on ne peut s’empêcher de penser à Pelléas et Mélisande : Saariaho et Sellars l’ont bien compris, il faut parfois laisser la parole au silence, au vide, à l’immobilité.
Tout comme Debussy, ils doivent beaucoup aux cultures asiatiques, sensibles là où nous analysons, enracinées là où nous cherchons après l’abstraction, silencieuses là où nous remuons bruyamment. Il serait mesquin pour un spectacle si profondément nourrissant de chercher à compter les points et à distribuer les lauriers ; il suffira de dire qu’on chercherait en vain à pinailler tant l’équilibre évident du spectacle, que ce soit au niveau de la conception ou de l’interprétation, confine à la perfection. Une forme d’absolu.
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