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CRITIQUES DE CONCERTS |
21 décembre 2024 |
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Création mondiale de Lunea de Holliger dans une mise en scène d’Andreas Homoki et sous la direction du compositeur à l’Opéra de Zurich.
Les tourments de la lune
Composé en trois temps, l’opéra Lunea reprend le titre d’un groupe de Lieder écrit par Heinz Holliger à partir de 2009, déjà pour l’exceptionnel Christian Gerhaher, créateur de l’œuvre à Zürich en 2013. Le baryton retrouve la scène avec autour de lui une distribution initiée à la musique contemporaine, tandis que le compositeur officie en fosse.
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Lunea fut créé pour la première fois en version voix-piano en mars 2013, avec Christian Gerhaher et Gerold Huber à Zurich. Un an plus tard, Heinz Holliger retravaillait sa partition autour de vingt-trois phrases du poète Nikolaus Lenau pour remplacer le piano par vingt-trois instruments. Ce 03 mars 2018, le compositeur tient encore à diriger son œuvre, cette fois dans une forme d’opéra d’une heure quarante environ, sur un livret de Händl Klaus.
L’idée est toujours la même, mais les vingt-trois phrases sont devenues feuillets, et comme l’explique le compositeur, ce n’est pas tant la poésie relativement classique de Lenau qui l’a attiré comme elle a pu charmer Schumann et d’autres compositeurs avant lui, mais plutôt les derniers textes d’un romantique au bord de la folie, et ses notes de la Krankenhaus d’Oberdöbling.
Les amateurs de Ma Rose utilisé par Schumann dans son opus 90 en seront pour leurs frais, car plutôt que Vom heißen Strahl der Sonnen (Du rayon chaud des soleils), Holliger préfère utiliser du poète Der Mensch ist ein Strandläufer am Meer der Ewigkeit (L’homme est un marcheur sur la plage face à une mer d’éternité). La musique sombre, fragmentaire et usant de palindromes comme d’anagrammes (Lunea pour Lenau) se divise donc en vingt-trois parties pendant lesquelles Christian Gerhaher, omniprésent, présente l’artiste et ses tourments.
À la diction du plus grand Liedersänger actuel s’associe un timbre assombri, pour une projection toujours parfaite du texte. Le reste de la distribution bénéficie de l’excellente Juliane Banse en Sophie von Löwenthal, amour intouchable de Lenau, surveillé d’ailleurs par quelques apparitions du mari, Max von Löwenthal (tenu par Federico Ituarte), l’ami qui eu la mauvaise idée de présenter sa femme à celui qui ne saura l’oublier.
Sarah Maria Sun tient les deux rôles de Marie Behrens et Karoline Unger, tandis qu’Annette Schönmüller l’accompagne souvent dans les scènes de groupe en étant Thérèse Schurz. Ivan Ludlow tient le dernier rôle, celui d’Anton Xaver Schurz, mari de Thérèse, la sœur de Lenau, premier biographe du poète avec son ouvrage Vie de Lenau publié en 1855 à Stuttgart. Il offre au rôle chaleur, dynamique et présence.
La mise en scène du directeur de l’Opernhaus Zürich Andreas Homoki a visiblement été discutée et validée par Holliger, qui souhaitait ne pas tomber dans les travers opératiques qu’il dénonçait de concert avec Boulez il y a encore trente ans. La création se trouve toutefois affadie par la simplicité de la proposition, simple décor resserré au milieu de la scène sur une moquette d’époque, avec pour seul agrément un canapé ou un fauteuil, quand les costumes, d’époque eux-aussi, mêlent robes bouffantes et chapeaux haut-de-forme, le tout dans la pénombre. Sur le mur défile en toutes lettres dans un sens puis dans l’autre le numéro de chaque feuillet en temps réel.
Un chœur de madrigal de douze chanteurs assiste les six rôles principaux avec ferveur, tandis qu’en fosse le compositeur porte sa partition avec rigueur, mais peut-être sans une liberté, une clarté ou le sens du détail qu’aurait pu assurer un chef plus confirmé. Il agence avec précision son ensemble chambriste, mais laisse le plateau livré au souffleur caché, très chaleureusement remercié par le héros de cette soirée, un Gerhaher définitif pour exalter cette belle création, offerte on l’espère à une mer d’éternité.
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