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CRITIQUES DE CONCERTS |
21 décembre 2024 |
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Reprise de Mârouf, savetier du Caire de Rabaud dans la mise en scène de Jérôme Deschamps et sous la direction de Marc Minkovski à Opéra Comique, Paris.
Ya Allah !
Un des plus grands succès de l’entre-deux-guerres mérite le même un siècle plus tard. Dans la mise en scène déjantée de Jérôme Deschamps, Jean-Sébastien Bou immortalise Mârouf, savetier du Caire. Avec eux, l’opéra d’Henri Rabaud retrouve ses lettres de noblesse et nous offre un plaisir aussi divertissant qu’intéressant musicalement.
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Vague orientaliste, empires coloniaux, expositions universelles pour les célébrer, nouvelle traduction des Mille et une nuits par Joseph-Charles Mardrus avec la découverte d’un conte comique, l’Histoire du gâteau échevelé au miel d’abeilles. En rire et s’en inspirer : Lucien Népoty et Henri Rabaud réussissent à recréer sous forme d’opéra une aventure aussi invraisemblable que farfelue, musique et théâtre judicieusement associés. Mârouf, savetier du Caire, n’a pas fini de nous divertir, surtout quand l’imagination d’un Jérôme Deschamps multiplie les trouvailles de sa mise en scène et en personnalise chaque détail.
Dans un Orient de pacotille, l’intrigue ne cesse de rebondir et porte Mârouf, pauvre savetier, au sommet d’une réussite magique. Victime effaré de sa Calamiteuse, Aurelia Legay en Fattoumah caricaturalement criarde, À l’aide, ô, musulmans !, bastonné sur l’ordre du Kâdi, ô, destinée désastreuse, Allah le veut mais Mârouf le mal marié s’enfuit, une felouque passait par là .
Elle chavire au loin, un copain d’enfance disparu le sort de la mer où il se noie, Ali a réussi, personnage important du souk, Lionel Peintre en témoigne, conseille son ami, et voici Mârouf au bluff (le succès de l’œuvre répandra l’usage du mot) en riche marchand. Le Sultan s’en émeut, Jean Teitgen parfait dans ce rôle où le goût du faste occulte toute lucidité et ce malgré les alertes que lui renouvelle son grand Vizir, alias Franck Leguérinel également risible.
Imposteur grandiose, Mârouf jouit au palais de sa bonne fortune, fiancé à la princesse Saamcheddine, Vannina Santoni délicieuse et décidée comme sa voix, reçoit sa beauté comme un coup de soleil. Époux éperdu, titubant de ses excès, s’émerveille : « Je suis le jet d’eau qui ronronne d’amour et mon épouse est le bassin de marbre où je me répands en larmes de joie ».
Oui, Allah est grand. Mais la richissime caravane inventée par le gendre indolent du Sultan n’arrive toujours pas. Face à la réalité immanente, Mârouf à nouveau s’enfuit, cette fois à cheval et accompagné des flancs de nacre de sa Saamcheddine. Poursuivis, arrêtés, Marouf et Ali tête sur le billot en plein désert, la caravane surgit d’un puits à l’ultime moment, chameaux en tête, ya Allah ! Tel Mârouf béni d’Allah, Jean-Sébastien Bou le demeure au fil des représentations, Mârouf plus vrai que nature au fil de ses aventures, une incarnation clef des bonheurs de ce spectacle miraculeusement déjanté.
Voisins, Kâdi, muezzin, marchands, âne et ânier, mamelouks, foule colorée du Chœur de l’Opéra national de Bordeaux, participent à la drôlerie ambiante. Les danses voluptueuses du harem et leurs privautés discrètement lubriques, l’originalité des tenues, le défi des coiffes dont l’excentricité ridiculise et magnifie les mâles qu’elles couronnent, témoignent d’une imagination galvanisée par les situations rocambolesques. Vanessa Sanino s’en est donné à cœur joie, Franck Chartier a mêlé l’humour à la volupté. L’outrance et le grotesque ne sont jamais vulgaires, au service d’un texte qui se moque avec allégresse et que nous pouvons suivre grâce aux surtitres.
Car si le théâtre est à la hauteur de la musique inventive d’Henri Rabaud, sous la direction sans surprise de Marc Minkowski, l’Orchestre national Bordeaux Aquitaine couvre trop souvent de tutti bruyants les voix droites, justes, naturelles de toute la distribution. Mieux respirée dans les nuances piano, la partition révèle alors une expressivité aux mélodies prenantes, une véhémence sentimentale originale que servent des harmonies parfois audacieuses. La complicité du compositeur et de Lucien Népoty passe alors mieux la rampe. Mais sagesse de la fosse et humour du plateau n’en font pas moins bon ménage et assurent le succès de cet opéra irrésistiblement parodique.
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Opéra Comique - Salle Favart, Paris Le 23/04/2018 Claude HELLEU |
| Reprise de Mârouf, savetier du Caire de Rabaud dans la mise en scène de Jérôme Deschamps et sous la direction de Marc Minkovski à Opéra Comique, Paris. | Henri Rabaud (1873-1949)
Mârouf, savetier du Caire, opéra-comique en cinq actes (1914)
Livret de Lucien NĂ©poty
Chœur de l’Opéra national de Bordeaux
Orchestre national Bordeaux-Aquitaine
direction : Marc Minkowski
mise en scène : Jérôme Deschamps
décors : Olivier Fercioni
costumes : Vanessa Sannino
Ă©clairages : Marie-Christine Soma
chorégraphie : Frank Chartier (Peeping Tom)
Avec :
Jean-Sébastien Bou (Mârouf), Vannina Santoni (princesse Saamcheddine), Jean Teitgen (le sultan), Franck Leguérinel (le Vizir), Lionel Peintren (Ali), Aurélia Legay (Fattoumahj), Valerio Contaldo (le Fellah / Premier marchand), Luc Bertin-Hugault (Ahmad), Yu Shao (le Chef des marins / un Ânier / Premier muezzin / Premier homme de police), Jérémy Duffau (Second muezzin), Sydney Fierro (Second mamelouk / Second homme de police), Simon Solas (Second marchand / Premier mamelouk), David Ortego (Le Kâdi / Cheikh-al-Islam). | |
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