Du style hiératique de Christus mortuus est, court motet richement polyphonique à six voix pour chœur de Josquin des Près, suivi du Psaume 129 pour chœur et orchestre de Lili Boulanger, Ils m’ont assez opprimée dès ma jeunesse, à la « gigantesque cathédrale sonore » (Harry Halbreich) de Bruckner, sa Cinquième Symphonie, le premier programme de la saison de l’Orchestre de Paris promettait une spiritualité religieusement inspirée. En deux minutes, six minutes, quatre-vingt-une minutes, les trois œuvres se sont succédé sans tenir cette gageure.
Josquin des Près et Lili Boulanger faisaient leur entrée au répertoire de l’Orchestre de Paris. A cappella, le Motet à six vois égales révéla sa polyphonie avant que le psaume de Lili Boulanger, chant d’imprécation envers les ennemis d’Israël et de confiance en Dieu seul, découvre sa souffrance et son espérance à travers une interprétation approximative. Déchirures à l‘orchestre qu’on aimerait plus nettes, homogénéité vocale décevante, sagesse prudente vis-à-vis d’une partition nouvelle et probablement pas assez répétée, en restreignent la puissance et l’âpreté. On aimerait entendre mieux la musique de cette émouvante compositrice, jeune fille de bonne famille malade et affligée d’épreuves qui avait obtenu le prix de Rome avant ses 20 ans et mourut à 25 ans.
Et c’est la Symphonie n° 5 en sib majeur de Bruckner, souvent qualifiée d’œuvre théologique. Sa naissance du silence, l’unisson des cordes, l’explosion de l’orchestre, le choral des cuivres, trombones superbes, trompettes en contrepoint, le crescendo des bois déroulent les richesses de l’Adagio introductif. Altos, violoncelles, clarinettes piano, tutti orchestral fortissimo, dialogue entre la flûte et la clarinette, cors à voix basse, éclats sont tous d’une précision remarquable. Sous la gestique sans baguette parfaitement maîtrisée de Daniel Harding, l’Orchestre de Paris suscite une adhésion sans réserve… ni la moindre émotion.
Hautbois merveilleux, flûtes et clarinettes de même habitent le deuxième mouvement, cet autre Adagio plus épuré. L’homogénéité des cordes, les phrasés tenus enchaînent leurs paradoxes sans que Harding les tende d’un engagement qui les élèverait. Sa précision en omet l’élan religieux. Aucune angoisse ne s’oppose à l‘espoir du croyant. Ainsi dirigée, sa complexité se banalise.
Les rythmes du Scherzo molto vivace imposent des contrastes hachés de coupures. Ni surprise ni feu ne nuancent les transitions de sentiments parfois conflictuels, les différences de climat, des répétitions devenues redites. Un émouvant frémissement des contrebasses, des cuivres interrogatifs, l’éloquence des pupitres n’en peuvent mais sans la ferveur d’un souffle qui transcende des pages dont la somptueuse plénitude sonore se double paradoxalement d’un vide incernable quand la spiritualité lui manque. Fugue du Finale admirable, trompettes et trombones d’une haute éloquence, espérance concluent l’œuvre qui fut grandiose à défaut d’atteindre sa grandeur mystique.
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