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CRITIQUES DE CONCERTS |
30 décembre 2024 |
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Création mondiale de Bérénice de Michael Jarrell dans une mise en scène de Claus Guth, sous la direction de Philippe Jordan à l’Opéra de Paris.
La confusion des sentiments
Après Cassandre (1994), Michael Jarrell retrouve l'opéra et le charme des héroïnes tragiques de l'Antiquité avec cette Bérénice, empruntée au livret de Jean Racine. Si la mise en scène de Claus Guth s'accorde à la perfection avec l'engagement des chanteurs, la musique ne s'engage pas au-delà d'un luxueux et confortable écrin sonore.
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On peut considérer qu'il faut un sacré culot, ou une sacrée dose d'inconscience pour outrepasser ce que Victor Hugo résumait dans une formule lapidaire en réponse au Rigoletto de Verdi : « Défense absolue de déposer de la musique le long de mes vers. » Chez Racine, et plus encore dans Bérénice, où le silence de Port-Royal est déjà perceptible, on ne saurait trouver livret moins commode à l'usage de l'art lyrique. Ce texte rétif semble donc à la fois résister et attirer à lui toute la tension dramatique de l'opéra de Jarrell.
Il faut une mise en scène qui – pour une fois – déploie des trésors d'invention et d'originalité pour séduire durablement. L'alternance de vidéos projetées en surimpression donne à l'action une dimension psychanalytique qui vient enrichir le récit. Ce sont principalement des images polarisées qui déplacent à la surface d'un écran des formes anonymes saisies parmi la foule sur ce qui semble être le parvis de la basilique Saint-Pierre ou des avenues parisiennes.
Plus loin, on verra le mur des lamentations, on entendra la fidèle Phénice s'exprimer en hébreu – pour ne pas oublier que Bérénice (Barbara Hannigan) est reine de Judée, et donc étrangère. Une longue chevelure sombre et des manières de petite Carmen (ou Salomé) complètent ce portrait. Il faut voir comme elle saute au cou d'un Titus à la fois immense par la taille et fragilisé dans son for intérieur (excellent Bo Skovhus).
Les décors tripartites, signés Christian Schmidt, montrent l'intérieur d'un palais avec des cloisons qui servent parfois de miroir à des scènes jouées en simultané. Par un astucieux effet vidéo, les murs semblent se mettre à vibrer tandis que les lumières de Fabrice Kébour accentuent la dimension tragique. On explore les personnages à travers un système de références symboliques d'une efficacité remarquable : Titus obsédé par la charge qui l'attend, exhibant l'urne contenant les cendres de Vespasien, dont il s'enduit le visage tandis que Bérénice est associée à la dimension liquide dans une série d'images prises au-dessus d'une surface ondoyante.
La force de cette production réside dans un plateau de belle tenue au premier rang duquel on trouvera Barbara Hannigan. La soprano n'a pas à imiter la passionaria survoltée pour imposer un jeu grand et fort par la subtilité des moyens et la justesse des effets. La partition lu donne des parties très exposées qui en font une sorte de Champmeslé colorature. Elle captive l'attention à un degré rarement atteint dans une œuvre en création mondiale.
À ses côtés, Bo Skovhus lui donne le change en empereur Titus qui porte à la fois la responsabilité politique et la blessure intérieure du sacrifice qu'il s'impose. Ian Ludlow campe un Antiochus terrassé par la douleur et l'impuissance à attirer à lui l'amour de Bérénice. Les seconds rôles sont particulièrement bien tenus, que ce soit Alastair Miles (Paulin) ou Julien Behr (Arsace). Légèrement amplifiée et cantonnée à des interventions parlées, Rina Schenfeld (Phénice) trouve dans un jeu aux confins de l'expressionnisme, la justesse d'expression qu'exige le personnage.
Michael Jarrell a opté pour un recitativo continu, traversé d'ébranlements et de fureur, mais toujours à fleur de texte, tel un sismographe sonore se résumant à un suivi émotionnel. Philippe Jordan ne semble guère sollicité au-delà du raisonnable, par une partition qui jette un voile prudent et pudique sur la dimension à la fois raffinée et violente des vers de Racine.
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