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CRITIQUES DE CONCERTS |
21 décembre 2024 |
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Nouvelle production de Mefistofele de Boito dans une mise en scène d’Alex Ollé et sous la direction de Daniele Rustioni en ouverture de saison 2018-2019 de l’Opéra de Lyon.
Le psychopathe triste
La production lyonnaise de l’opéra de Boito a tout pour séduire. Spectacle d’une rare cohérence, où les forces et faiblesses des uns servent totalement la dramaturgie d’un chef-d’œuvre trop peu joué, la direction d’orchestre éclatante et la mise en scène font mouche. Mefistofele ou les ténèbres d’un psychopathe définitivement las et triste.
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En faisant de Méphistophélès le représentant de « l’atroce férocité du mal », Alex Ollé se situe dans la droite ligne du propos de Boito : Faust devient secondaire, Méphisto est le grand Seigneur de l’ouvrage. Mais c’est un être froid, psychopathe, sans joie maligne pour le mal. La perversité n’est même plus source de plaisir, mais relève le désenchantement profond d’une âme perdue. Faust est une proie insipide bien trop facile, pas même du menu fretin. On guettera sans succès un frémissement de jubilation à susciter l’étincelle du désir de Faust. Et Méphisto hésitera à peine à repousser les avances de Marguerite… Las des vices dont il est pourtant le tentateur, il trône sur une humanité décidément irrattrapable.
L’image scénographique semble elle-même se faire le témoignage de son monde intérieur. Vide, triste, assassinant des enfants sans l’ombre d’une émotion, le personnage est gangrené par des visions d’anges aseptisés, travestis en scientifiques qui lui arrachent le cœur comme à un vulgaire animal de laboratoire. On aurait presque une compassion fugitive pour ce triste sire, enfermé dans les méandres infinis d’un monde désincarné.
De manière générale, la transposition choisie par le metteur en scène dans notre monde marche à merveille : bureaux froids, fêtes concupiscentes à paillettes, Faust isolé et happé par son macintosh. Le propos se tient parfaitement, servi par des décors aux volumes travaillés plantant des ambiances : astucieux sous-sol révélé sous de célestes bureaux, espace strié et perturbé du décor principal. La scénographie très réussie trouve sa juste place pour servir la narration.
Côté plateau, la palme de l’incarnation revient à John Relyea qui réussit la prouesse de constamment peser sur la scène d’une chape de plomb par sa présence vide, froide, triste. Matériau vocal aux profondeurs hallucinantes, musicalité froide de mort-vivant, expression sans éclat d’un être aux bords de l’abîme, il campe un Mefistofele en parfaite cohérence avec la vision de l’artisan de la Fura dels Baus. Il est le diable parfaitement désabusé par une humanité bien creuse, au physique véritablement impressionnant, taciturne et puissant jusqu’à la moelle.
Par comparaison, le Faust de Paul Groves apparaît comme un second couteau, aux contours bien fades. Là aussi, on note finalement la cohérence avec la mise en scène, mais le chanteur avoue tout de même ses limites dans des aigus trop courts. On cherchera davantage l’humanité et l’effusion du côté de l’excellente Margherita d’Evgenia Muraveva, au timbre clair et tranchant, tout autant capable de subtilités et de rondeur, pour le personnage qui reste finalement le plus sympathique de la dramaturgie.
Mais le maître d’œuvre musical reste sans conteste le jeune Daniele Rustioni qui montre l’Orchestre de l’opéra de Lyon sous son meilleur jour. Une direction jouant de la clarté de la texture orchestrale avec des merveilles côté bois, comme d’une matière orchestrale pouvant assumer une densité, une pesanteur bienvenues. La mise en place dénote un travail fouillé et rigoureux tandis que le discours est parfaitement restitué dans sa théâtralité. Tempi vifs, phrasés de caractère, ampleur des lignes, timbres parfois noirs, l’orchestre se fait narration. Le soutien idéal à un chœur toujours au top niveau et une Maîtrise de l’opéra effarante de précision.
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