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CRITIQUES DE CONCERTS |
21 décembre 2024 |
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Nouvelle production des Troyens de Berlioz dans une mise en scène de Dmitri Tcherniakov et sous la direction de Philippe Jordan à l'Opéra de Paris.
Nuit d'ivresse
Les Troyens ont déjà été à l'affiche de la toute première saison de l'Opéra Bastille en 1990, puis en 2006. En cette année de 350e anniversaire de la Grande Boutique, c'est à Dmitri Tcherniakov que sont confiées les clés de cette nouvelle mise en scène. La réception houleuse est à la hauteur des enjeux et du génie qui a su y mettre.
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La dimension écrasante, façon art total, des Troyens, se retrouve dans l'ambition de Dmitri Tcherniakov de livrer un travail en deux espaces et deux dimensions théâtrales qui travaillent en profondeur la notion du mythe antique, à la fois traité sous l'angle de la violence et la monumentalité (La Prise de Troie), puis la réflexion sur les conséquences de la guerre (Les Troyens à Carthage).
Le Moyen-Orient sert de cadre d'inspiration aux décors d'une première partie où les hautes façades font références à Beyrouth ou Alep mais sans un aspect délabré excessif. L'attention se concentre sur la famille régnante, avec autour d'un Priam-Pinochet, des Troyens déguisés en monarques de revue sur papier glacé. Les breaking news défilent sur des tableaux électroniques, rythmant l'action et lui donnant une touche de dérision qui rend plus pitoyable encore la descente aux enfers à venir.
Les amateurs de vrai "Cheval de Troie" en seront pour leurs frais, quand la tromperie et la violence se lisent dans cette foule fanatisée ou cette soldatesque sans foi ni loi. On reste stupéfait de la force des images, comme par exemple la vision du meurtre d'Hector, combiné au suicide de Cassandre, tous deux immolés et traversant la scène plongée dans l'obscurité sous l'aspect d'un figurant en flammes.
Cette forme de lyrisme tragique s'oppose à une seconde partie où la distanciation reprend ses droits, comme si Tcherniakov cherchait à faire retomber la tension et jouer sur l'analyse du trauma lié au conflit guerrier. Nous sommes dans une cité de Carthage changée en "centre de soins en psycho-traumatologie pour victimes de guerre". Cette Cythère en trompe-l'œil arbore tous les signes extérieurs d'un établissement où il s'agit de faire oublier aux patients leurs blessures psychologiques et physiques.
Le personnel, identifié par des gilets rouges, organise des ateliers où le jeu de rôle et l'explicitation orale servent de thérapie. Didon et Énée rejouent leurs rôles respectifs, avec couronnes en papier et fleurs en plastique. Mieux que dans sa Carmen aixoise, on use ici de grands cartons explicatifs qui augmentent le malaise entre un personnel qui connaît le passé douloureux de ses patients, et les patients eux-mêmes, qu'une stupéfiante direction d'acteurs permet de montrer se ressouvenant de leur tragédie… jusqu'à cette si pathétique mort de Didon se suicidant par overdose de barbituriques.
Le plateau est dominĂ© par StĂ©phanie d’Oustrac, dont l'Ă©nergie et l'engagement Ă©pousent la puissance du théâtre sanguinaire de la première partie. AppelĂ©s Ă la dernière minute pour pallier les dĂ©fections de Bryan Hymel et Elīna Garanča, Brandon Jovanovich (ÉnĂ©e) et Ekaterina Semenchuk (Didon) embrassent leurs personnages avec une rare virtuositĂ©. L'endurance et la force du premier s'allient de belle manière Ă la vĂ©hĂ©mence poignante de la mezzo qui porte l'Ă©motion Ă son point d'Ă©bullition dans la mort de Didon.
Des lauriers également pour la ténébreuse Aude Extrémo (Anna), le trop court Iopas de Cyrille Dubois et le profond Narbal de Christian Van Horn. Michèle Losier aurait mérité plus que les quelques lignes de son Ascagne et Stéphane Degout ne force pas son talent en Chorèbe. Ni Véronique Gens (Hécube), ni surtout Paata Burchuladze (Priam) ne se font entendre au-delà de quelques répliques mal assurées, au rang desquelles on placera la chanson d'Hylas par le pâle Bror Magnus Tødenes.
La direction de Philippe Jordan ne se départ pas d'une carrure rythmique dont les rutilances et les accents forment un rideau sonore aux arêtes à la netteté froide et puissante – y compris dans les chœurs, prêts à en découdre. Peu importe au fond si les coupures feront parfois hurler les puristes venus chercher l'intégralité d'un spectacle musical dont la formidable vision théâtrale transcendera ici le détail secondaire.
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Opéra Bastille, Paris Le 25/01/2019 David VERDIER |
| Nouvelle production des Troyens de Berlioz dans une mise en scène de Dmitri Tcherniakov et sous la direction de Philippe Jordan à l'Opéra de Paris. | Hector Berlioz (1803-1869)
Les Troyens, opéra en cinq actes
Livret du compositeur d'après l'Énéide
Chœurs et Orchestre de l’Opéra national de Paris
direction : Philippe Jordan
mise en scène et décors : Dmitri Tcherniakov
costumes : Elena Zaytseva
Ă©clairages : Gleb Filshtinsky
vidéo : Tieni Burkhalter
préparation des chœurs : José Luis Basso
Avec :
Brandon Jovanovic (Enée), Stéphanie d’Oustrac (Cassandre), Stéphane Degout (Chorèbe), Ekaterina Semenchuk (Didon), Aude Extrémo (Anna), Michèle Losier (Ascagne), Cyrille Dubois (Iopas), Christian Van Horn (Narbal), Bror Magnus Tødenes (Hylas), Christian Helmer (Panthée), Thomas Dear (Le fantôme d’Hector), Jean-Luc Ballestra, Tomislav Lavoie (Deux capitaines troyens), Paata Burchuladze (Priam), Véronique Gens (Hécube), Sophie Claisse (Polyxène), Jean-François Marras (Hellenus), Bernard Arrieta (Mercure). | |
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