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CRITIQUES DE CONCERTS |
21 décembre 2024 |
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Requiem de Mozart dans une mise en scène de Romeo Castellucci, sous la direction de Raphaël Pichon au Festival d’Aix-en-Provence 2019.
Aix 2019 (3) :
Le voyage sans retour
Véritable événement de cette édition 2019 du Festival d'Aix-en-Provence, le Requiem de Mozart mis en scène par Romeo Castellucci bouscule les codes et s'impose comme un des meilleurs spectacles du scénographe italien. Le chœur Pygmalion tutoie les sommets en dominant un quatuor et un orchestre sagement dirigés par Raphaël Pichon.
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Théâtre de l’Archevêché, Aix-en-Provence
Le 19/07/2019
David VERDIER
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On peut lire dans les quelques protestations qui ponctuaient le soir de la première, la résistance d'une partie du public face à la volonté de mettre en scène un chef-d'œuvre sacré. Il n'y a pourtant aucune volonté de provocation chez Romeo Castellucci, simplement un travail de mise en valeur des éléments de définition du sacré et de la notion de célébration de la mort.
L’Italien montre que la pulsion d'une danse des origines exprime un principe vital face à la douleur de la disparition. Le message de ce Requiem revient à purger les passions par la danse pour se délester du poids de la mort et faire basculer le spectacle dans une forme de transe irrépressible. Raphaël Pichon a souhaité y inscrire des emprunts au plain-chant ainsi que des références à la musique maçonnique. Le spectacle s'ouvre sur une scène muette qui montre les derniers instants d'une vieille dame. L'événement déclenche un cortège de danses façon peinture de la Renaissance, tandis que dans le Kyrie on projette sur le mur de fond la longue liste d'un atlas des grandes extinctions.
Au-delà du catastrophisme écologique et politique, on doit voir dans cette liste une sorte de basse continue qui imprime son rythme au spectacle dans un continuum à la dimension essentiellement poétique comme par exemple dans le Sanctus, où surgissent des formules aussi énigmatiques que l'extinction du moi, extinction de la littérature, du christianisme, extinction de la poussière, extinction de cette musique. On admire cette alternance de rondes qui libèrent dans le Dies irae une fureur laissant place à une ivresse quasi nietzschéenne.
Dans le Tuba mirum, le corps d'une petite fille est enduit de pigments de couleurs comme on préparerait un sacrifice joyeux tandis que dans le Confutatis, il est temps de faire renaître la nature, avec ces orangers qui rappellent jardin de l'Éden des peintures florentines. Castellucci joue avec les contrastes quand il invite les choristes à tordre leurs corps à même le sol et dans la terre noire comme s'ils tentaient de s'extraire des cercles de l'Enfer de Dante. Dans le Lux aeterna terminal, c'est le plateau tout entier qui se soulève et se dresse à la verticale, exhibant les traces de tous ces déplacements tel un tableau abstrait.
On admire la capacité du chœur Pygmalion à nuancer les phrases du murmure à la pleine voix, tout en conservant une netteté étourdissante dans les attaques et une parfaite densité sonore qui jure avec cet amalgame de corps jetés au même moment sur la scène. La voix du jeune sopraniste Elias Pariente entonne alors l'antienne In paradisum deducant te angeli, parachèvement d'un spectacle dédié à la beauté et à l'éphémère. On pourra trouver chez les solistes un manque d'homogénéité, entre la voix volontaire et contrastée de Luca Tottolo et le ténor affecté de Martin Mitterrutzner, mais aussi entre l'alto souverain de Sara Mingardo et la ligne inconstante de Siobhan Stagg.
Les options de Raphaël Pichon sont parfois contestables, surtout quand elles cherchent à dessiner à la pointe sèche un Mozart qui demande avant tout une régularité et un souffle lyrique sans apprêts. La fosse est souvent prise au piège du paradoxe que la scène cherche à imposer, notamment dans la furie des groupes dansés qui contredit la solennité et la gravité du propos (Dies irae, Domine Jesu Christe). Sa direction fait coexister la vision du scénographe et les exigences d'une partition qui fait de la danse et du chant, la première étape pour un voyage sans retour dont on ne sortira pas indemne.
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