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CRITIQUES DE CONCERTS |
21 décembre 2024 |
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Nouvelle production de Médée de Cherubini dans une mise en scène de Simon Stone et sous la direction de Thomas Hengelbrock au festival de Salzbourg 2019.
Salzbourg 2019 (3) :
Coitus interruptus
Mise en scène intelligente, d’une émotion réelle quoique inégale, orchestre de rêve, chef empanaché, scénographie maîtrisée, vidéo avec un vrai travail sur l’épaisseur de la mémoire, chanteurs virtuoses et engagés… Pourquoi faut-il qu’une terrible désinvolture sur le travail du texte vienne saboter la recette si prometteuse de cette Médée ?
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Qui n’a pas savouré le visionnage condescendant d’archives lyriques où les cantatrices d’antan, bien en chair et drapées en rideau de douche, se plantaient au milieu du plateau avec pour toute mise en scène un geste de la main ? Notre temps prétend avoir remis l’opéra sur ses deux jambes : musica et parole. Sans texte il n’y a ni théâtre ni musique ; mais le répertoire français souffre à répétition d’un amateurisme invraisemblable dans ce domaine.
Passe encore chez la Médée d’Elena Stikhina : voix magnifique, présence incendiaire, incontestable, d’autant qu’elle est l’étrangère de service. Mais Pavel Černoch en Jason, tellement à contre style, pas une voyelle française en place, en retard toujours, portamenti partout, sanglots véristes à chaque attaque ? Ou le Créon de Vitalij Kowaljow qui exhibe son large matériau alors qu’on souhaiterait comprendre juste un petit mot ?
Rosa Feola (Dircé) dont on écoute distraitement la virtuosité, l’engagement, aux prises avec la lecture du surtitrage anglais et allemand pour reconstituer ce qu’elle raconte ? Ou Alisa Kolosova (Néris), matière opulente où se perd toute accentuation, ou même la Française Marie-Andrée Bouchard-Lesieur (qui pourrait aussi bien chanter du bulgare) ?
À quoi bon commenter alors l’expressivité d’une tragédie en yaourt où il ne saurait être question de style, et où surgit le français capiteux d’Amira Casar (interventions parlées de Médée) et la limpide doublure parlée de Jason sur son répondeur téléphonique ? Même le Philharmonique de Vienne, onctueux, savoureux, coloré à souhait, un peu malmené par le geste survolté à défaut d’être dramatique d’un Thomas Hengelbrock parfois ravageur (acte III) mais en mal de délicatesse, ne compense pas l’absence de phrasé chez les chanteurs.
Reste le génie de Simon Stone, une vidéo poétique, actuelle, une relecture poussant sans lourdeurs le livret dans ses retranchements : Médée y est déjà exilée (à la différence d’Euripide). Dès l’ouverture la vidéo assure la récapitulation de l’idylle de Médée et Jason, leur villa sur le Wolfgangsee, l’adultère avec Dircé, la rupture, les disputes à Salzbourg, la séparation d’avec les enfants, invariablement confiés à Néris, la gouvernante, des instants perdus ou volés.
Dans un astucieux décor à plusieurs cases, Médée se lamente depuis un taxiphone miteux de sa lointaine Géorgie (la Colchide), harcelant un Jason superficiel, aux prises avec sa nouvelle coucherie et ses draps à faire changer avant l’arrivée de Madame, les gadgets technologiques dont il gâte ses fils. Sous les caméras des chaînes d’information, la mère bloquée à l’aéroport arrachera un visa de 24h dans la luxueuse Autriche. Le mariage y sera mondain, satins tapageurs et éclairages de bal, critique à peine voilée de la société de consommation qui n’est pas sans rappeler Pasolini.
Pas le temps de s’appesantir sur le meurtre de Dircé et Créon, le road-movie continue sur les chapeaux de roue avec la fuite sur les routes sinueuses, la nuit, et un terrible orage. Enfin la question cruciale pour Stone : comment une mère en arrive-t-elle à tuer ses enfants ? La station-service, l’essence, la mère qui va s’immoler avec la voiture et les enfants à l’intérieur, le chœur en policiers et équipes de secours… On attend un dénouement terrible… Mais personne ne s’interpose, tout le monde laisse faire… Un peu de lumière et de fumée… Frustrant.
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