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CRITIQUES DE CONCERTS |
30 décembre 2024 |
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Clôture du 3e festival de la Fondation Luigi Nono en l’église du Rédempteur de Venise.
L’expérience de l’éternité
Point d’orgue du 3e festival de la Fondation Luigi Nono, l’exécution de la dernière œuvre du compositeur vénitien donne une idée de l’éternité à travers son écriture atomisée, dans une partition pour deux violons d’une incroyable densité, truffée de silences, laissant entrevoir l’infinitésimal dans le cadre acoustique fabuleux de l’église du Redentore.
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Disparu le 8 mai 1990 à l’âge de 66 ans, Luigi Nono laissait orphelin le monde de la création musicale contemporaine. Sa veuve, fille d’Arnold Schoenberg, n’a cessé depuis d’entretenir sa mémoire. Nuria Nono-Schoenberg, âgée de 87 ans et aujourd’hui aidée de ses deux filles Silvia et Serena, dirige depuis sa création en 1993 l’Archivio Luigi Nono situé sur l’île de la Giudecca, au sud de Venise, face aux Zattere où le compositeur, vénitien pure souche, avait vu le jour.
Depuis 2017, l’Archivio propose un petit festival ramassé sur un week-end avec de nombreuses médiations, expositions et conférences autour de la musique de « Gigi ». Cette troisième édition, dédiée aux œuvres appuyées sur des textes en espagnol, se terminait ce dimanche à 21h par un concert en l’église du Rédempteur, dans la pureté des colonnes de pierre blanche conçues après la terrible épidémie de peste de 1576 par Palladio, et couverte sur les six chapelles latérales de sa nef de magnifiques toiles de Bassano, Tintoret et Véronèse.
Le cérémonial entourant cet événement dans la cité des Doges, nécessitant de prendre le vaporetto de nuit pour traverser le canal de la Giudecca, prépare déjà à des conditions d’écoute hors du commun. L’ancien maire de Venise Massimo Cacciari, philosophe et ami de Nono, introduit d’abord l’esthétique des dernières œuvres du compositeur, et plus spécifiquement de Hay que caminar… soñando.
Cette ultime partition (1989) pour deux violons, d’un dépouillement franciscain, dont les trois parties se signalent par un déplacement spatial des instrumentistes, offre le visage le plus nu de l’univers sonore du compositeur. Basée sur la révélation d’une phrase inscrite sur le mur d’un cloître à Tolède : « Caminantes, no hay caminos, hay que caminar » (Vous qui marchez, il n'y a pas de chemins, il n'y a qu'à cheminer), elle symbolise l’invitation à trouver sa propre voie spirituelle, à inventer sa route.
Créé par deux membres du Quatuor Arditti, dédié à Tatiana Grindenko et Gidon Kremer, l’ultime chef-d’œuvre, excellement défendu ce soir par deux violonistes issus du conservatoire de Turin (Giulia Pecora et Li Xinyu), est une invitation à la méditation, à l’écoute de l’infinitésimal, d’une résonance fournie par l’église du Redentore si riche de perspectives en comparaison des enregistrements discographiques dans des studios assez secs.
Le discours, basé sur la scala enigmatica de Verdi, se fait essentiel de la première à la dernière note, jamais une tournure purement cérébrale, chaque intervention dénuée de vibrato remplie d’arrière-plans sensoriels et chromatiques, musique vénitienne par essence, toute de scintillements lagunaires, d’attente, de gestes furtifs bousculant une intériorité fascinante dans de longs silences qui sont autant de béances décuplées d’un horizon partagé entre lumière maritime éclatante et ruelles sinueuses sous-éclairées, reflets de textures sans cesse renouvelées.
Une authentique expérience musicale sans facilités d’écriture (pas le moindre pizz au cours de cette demi-heure), seulement perturbée par les bruits environnants : grincements des bancs par un public gigoteur, lointaine rumeur du canal de la Giudecca, ronron des moteurs qui l’empruntent et ressac de l’Adriatique sur le quai. La sensation de devoir affronter le vide (ce dernier sol grave dont la lueur vacille, abolissant temps et espace), récompensée par un avant-goût d’éternité.
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Chiesa del Santissimo Redentore, Venezia Le 13/10/2019 Yannick MILLON |
| Clôture du 3e festival de la Fondation Luigi Nono en l’église du Rédempteur de Venise. | Luigi Nono (1924-1990)
Hay que caminar… soñando (1989)
Giulia Pecora & Li Xinyu, violon | |
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