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CRITIQUES DE CONCERTS |
21 décembre 2024 |
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Reprise de Lear de Reimann dans la mise en scène de Calixto Bieito, sous la direction de Fabio Luisi à l’Opéra de Paris.
Carnage light
Pour cette reprise du spectacle sans véritable audace du metteur en scène Calixto Bieito, l’intrigue sanguinaire de Lear d’Aribert Reimann vit essentiellement par les atours d’une excellente distribution, que pourrait davantage porter la battue épaisse et sans tranchant de Fabio Luisi, trop modéré dans sa gestion des cataclysmes orchestraux.
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On ne se réjouira jamais assez de l’installation durable au répertoire de Lear, véritable bombe à fragmentation musicale élaborée par Aribert Reimann à la fin des années 1970, qui n’a pas perdu une once de sa violence terrassante en servant au plus près du génie de Shakespeare l’intrigue monstrueuse d’un carnage familial à la cour d’Angleterre, dans un ouvrage secoué d’assauts orchestraux et vocaux.
Créé en France (et en français) dans ce même Palais Garnier en 1982, quatre ans après la création mondiale à Munich, l’opéra en deux actes y a retrouvé sa langue allemande d’origine en 2016, dans la production reprise cet automne, avec une distribution très similaire. Entre-temps, Salzbourg proposait une production à marquer d’une pierre blanche, transcendée par un Philharmonique de Vienne déchaîné et le théâtre brûlant de Simon Stone.
En comparaison, le travail de Calixto Bieito tient du service minimum. Dans le décor unique d’une palissade à claires-voies dévoilant au II des vidéos d’yeux reptiliens et de plis de peau fripée en gros plan, on retiendra, davantage qu’une direction d’acteurs guère inoubliable, l’idée de la déchéance physique, du vieillissement corporel parallèle à l’altération de l’esprit du monarque, qui rompt le pain pour le partager entre ses filles et se voit offrir un lavement christique et une pietà par sa cadette qui remarque à peine ses sous-vêtements souillés.
La battue de Fabio Luisi n’exploite pas non plus assez le potentiel dramatique de l’œuvre, dénuée de tranchant et d’arêtes vives, l’Orchestre de l’Opéra de Paris, assez monochrome, peinant à trouver mordant et vraie tension des cordes jusqu’à la scène finale où enfin les archets sont chauffés à blanc, et que la masse orchestrale souffre de groupes de percussions coincés dans des loges latérales trop sèches pour se mêler vraiment au bloc sonore émergeant de la fosse de Garnier Pourtant, la direction sait distiller de belles plages désertiques, comme l’après-tempête du I avec cette flûte basse idéalement insinuante.
La distribution, en revanche, ne souffre aucune réserve, et au premier chef le rôle-titre de Bo Skovhus, tenté par l’expressionnisme avec une matière, une étoffe qu’on lui croyait perdues, immensément expressif et hanté par sa déchéance. Chez les dames, Evelyn Herlitzius, possédée, lance en Goneril ses incantations démoniaques avec une pétoire infernale que possède à un bien moindre degré la Regan d’Erika Sunnegårdh, tandis qu’Annette Dasch offre une Cordelia plus dramatique que l’ordinaire, moins pure mais au tragique efficace.
Outre le ténor de caractère d’Andreas Conrad, Edmund effrayant de violence, et des seconds rôles tous parfaitement caractérisés, on applaudit l’Edgar aux mille couleurs et tout sauf évaporé du contre-ténor Andrew Watts, saisissant en scène en oiseau mazouté, aussi puissant en voix de tête que dans ses quelques phrases en voix de poitrine, et qui offre un saisissant contraste avec le Fou ravagé d’Ernst Alisch.
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Palais Garnier, Paris Le 30/11/2019 Yannick MILLON |
| Reprise de Lear de Reimann dans la mise en scène de Calixto Bieito, sous la direction de Fabio Luisi à l’Opéra de Paris. | Aribert Reimann (*1936)
Lear, opéra en deux parties (1978)
Livret de Claus H. Henneberg après King Lear de Shakespeare
Chœurs et Orchestre de l’Opéra national de Paris
direction : Fabio Luisi
mise en scène : Calixto Bieito
décors : Rebecca Ringst
costumes : Ingo KrĂĽgler
Ă©clairages : Franck Evin
vidéo : Sarah Derendinger
préparation des chœurs : Alessandro Di Stefano
Avec :
Bo Skovhus (Lear), Gidon Saks (König von Frankreich), Derek Welton (Herzog von Albany), Michael Colvin (Herzog von Cornwall), Kor-Jan Dusseljee (Graf von Kent), Laura Vasar (Graf von Gloster), Andrew Watts (Edgar), Andreas Conrad (Edmund), Evelyn Herlitzius (Goneril), Erika Sunnegårdh (Regan), Annette Dasch (Cordelia), Ernst Alisch (Narr), Luca Sannai (Bedienter), Lucas Prisor (Ritter). | |
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