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CRITIQUES DE CONCERTS |
21 décembre 2024 |
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Doté d'un instinct musical presque animal et d'un immense pouvoir de séduction, Léonard Bernstein était un musicien qui vivait la musique plus qu'il ne la jouait. Yutaka Sado, lui, la danse tout entier avec son corps. A-t-on jamais vu un chef faire des bonds d'un demi-mètre sur son estrade, onduler comme Mick Jaeger, se casser en deux comme Elvis, faire des pirouettes comme Michael Jackson ? Mais si sa chorégraphie est en soi un spectacle, ce n'est en rien du cirque car l'humour manifeste et la bonne humeur du Japonais sont aussi spontanés que communicatifs. Mais surtout, le National est d'une précision et d'un équilibre comme on ne l'entend avec aucune autre baguette que la sienne.
Dès On the Waterfront (la musique de Sur les Quais d'Elia Kazan avec Marlon Brando et Eva Marie-Saint), on remarque sa main droite qui mime et épouse les courbes d'un discours musical aussi lyrique qu'impétueux, tandis que la gauche tranche à vif dans la masse orchestrale. Précision, différenciation, relief, contrastes dynamiques extrêmes composent une palette aussi foisonnante qu'il y a d'épisodes narratifs : Sado réinvente le technicolor pour un film tourné en noir & blanc.
Temps faible du concert, la symphonie The Age of Anxiety n'est sans doute pas le Bernstein le plus inspiré : le style est décousu et marie maladroitement un néo-romantisme nappé de violon avec des épisodes jazzy forçants sur la syncope. On ne peut cependant qu'admirer le brio et la fougue que lui insuffle Fazil Say au piano. Son articulation, sa verve et son phrasé démontrent une autorité et une détermination à sortir le meilleur de cette partition.
La deuxième partie du programme fait la plus grande place à l'inspiration jazz de Bernstein. Dans Prélude, Fugue and Riffs - pour clarinette et ensemble de jazz – on va pouvoir admirer pleinement le jeu de jambes de Sado. Aucun doute possible, le swing, c'est lui, et il y a probablement longtemps que le vieux Théâtre des Champs-Élysées ne s'était pas dérouillé comme cela. Dans l'incontournable West Side Story, Sado arbitre manifestement la bagarre rangée entre les Jerks et les Sharks, soutient Tony blessé, exhorte Maria a se sentir américaine, bref il crève l'écran comme les planches.
Pour finir, Sado emporte tout le Théâtre dans un Mambo enfiévré. Il suffit au chef de se retourner subitement vers le parterre pour que celui-ci subjugué hurle le mot magique : Mambo ! . Dernière chance de faire partie des parties des choeurs de Sado, ce soir lundi 13.
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Théâtre des Champs-Élysées, Paris Le 09/11/2000 Eric SEBBAG |
| Hommage à Leonard Bernstein | Orchestre National de France
Yutaka Sado, direction
Fazil Say, piano
Berstein : On the Waterfront, Symphonie n°2 (The Age of Anxiety), Prélude Fugue and Riffs, West Side Story. | |
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