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CRITIQUES DE CONCERTS |
21 décembre 2024 |
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Nouvelle production du Vaisseau fantôme de Wagner dans une mise en scène de Dmitri Tcherniakov et sous la direction d’Oksana Lyniv au festival de Bayreuth 2021.
Bayreuth 2021 (1) :
Le Hollandais violent
Lecture radicale pour ce Vaisseau fantôme sans mer ni damnation, expurgé par Dmitri Tcherniakov de tout amour sacrificiel au profit des règlements de compte d’une famille dysfonctionnelle. Parfaitement maîtrisé, idéalement servi par tous les interprètes, le projet emporte l’adhésion sans tout à fait se départir d’une tonalité cérébrale et glaçante.
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Romantische Oper. La difficulté dans tous les « jeunes » Wagner, c’est de faire parler l’élément romantique, qui consiste souvent en un enjeu moral, dans un monde moderne autoproclamé amoral. La solution de Tcherniakov est fidèle à ses habitudes : en introduisant des relations inédites entre les personnages, il cherche à revivifier l’enjeu par une vraie incertitude sur le dénouement. Il choisit ici – non sans finesse, puisqu’on ne sait pas dans quelle mesure le prologue rêvé est la réalité – de faire de la légende du Hollandais un piège utilisé par ce dernier pour se venger de la population de la ville de son enfance où il a été traumatisé par le supposé rejet de sa mère (Mary).
Maintes ambiguïtés évitent la lourdeur d’une lecture plaquée : d’abord, Mary est-elle sa mère ou n’y a-t-il qu’un écho entre les deux femmes ? Elle ne semble pas le reconnaître, il ne lui prête que peu d’attention… Ensuite, quel mal lui a été fait ? Une relation toxique avec Daland – mais ils vivent rangés en un ménage bourgeois depuis – et une mise au ban de la société ? Elle qui dirige aujourd’hui la chorale (scène des fileuses) dans une ambiance amicale ? N’est-ce pas plutôt de la paranoïa ?
On guette le dénouement brutal de cette intrigue resserrée, névrosée, aux relations complexes et pas téléphonées – la parenté entre l’élément perturbateur Senta et le chef du groupe Mary, le fulgurant repas de famille dysfonctionnelle parfaitement huilé –, où les monologues du Hollandais sont des palabres au pub. Mais il est vrai que cette lecture ménage moins de moments d’émotion inattendus, de tragique nouveau que d’autres productions récentes du metteur en scène. Les sentiments de Senta, adolescente rebelle mal dans sa peau, restent loin de toute abnégation, le salut n’est qu’un mot oublié sitôt prononcé, et le résultat est aussi noir que froid.
L’équipe musicale joue totalement le jeu, Daland guindé du toujours exquis Georg Zeppenfeld, Mary en distinction et charme de Marina Prudenskaya – pas une matrone mais une vraie femme passionnée qui a mûri –, Erik tout en morbidezza de Eric Cutler, échoué dans le mauvais village et avec le mauvais béguin, et au besoin Doppelgänger du Hollandais, Senta fracassante, autoritaire et fantasque de Asmik Grigorian, voix qui paradoxalement se durcit avec les années, en même temps que ses attaques s’amollissent, et John Lundgren en Hollandais massif, instrument noir et creusé mais qui allège jusqu’au hagard.
Le chœur, à demi figurant, à demi en coulisses, fabuleux de plasticité (les dames du II), sauf dans les décalages de la terrible virtuosité du III, et les débuts à Bayreuth manu militari d’une Oksana Lyniv qui lorgne parfois vers l’opéra italien parachèvent une partie musicale non exempte d’accidents mais en parfaite adéquation avec un projet aussi méthodique que cruel.
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