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CRITIQUES DE CONCERTS |
21 décembre 2024 |
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Concert Bach de Daniil Trifonov au Festspielhaus de Baden-Baden.
Legato et stabilo
Chez un compositeur où on ne l’attendait pas, Daniil Trifonov offre une lecture un peu déconcertante de L’Art de la fugue, très romantique, faisant ressortir jusqu’à l’excès chaque entrée de sujet et noyant la polyphonie dans un legato assez lissant. Demeurent une coloration captivante de certains Contrapunctus et un son magnifique.
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Dans le fascinant film Pianomania, on voit l’accordeur Stefan Knüpfer ployant sous les demandes presque insensées de Pierre-Laurent Aimard au moment d’enregistrer L’Art de la Fugue pour Deutsche Grammophon en 2007. Le pianiste français voyait dans l’œuvre un tel kaléidoscope de langages qu’il voulait des couleurs particulières selon les fugues.
Daniil Trifonov semble ne pas s’être posé autant de questions tant son piano, tout en rondeurs magnifiques, sonne constamment romantique. Nul regard vers un quelconque autre instrument que Bach a connu ou vers la révolution baroque qui a infusé chez certains pianistes. Pour autant, on perçoit une grande homogénéité dans une lecture que l’on sent tendue comme un arc, avec de vrais contrastes de dynamique, de climat et de ton – exalté (fin du Contrepoint VIII), fantastique (VI in Stylo Francese), voire impressionniste (XII Inversus).
C’est que le jeune homme aime à clamer chaque sujet ou réponse (comme passés au stabilo) tout en diminuant très fortement les autres voix au point de noyer la polyphonie dans le legato. L’anti-Gould par excellence. Même les fugues qui appellent le détaché (sujet du XIII, contre-sujet caractéristique avec plusieurs notes répétées dans le VIII et le XI) sont irrémédiablement liées. Comme si le pianiste refusait de faire ressortir autre chose que les sujets.
La lecture a pourtant d’autres atouts, et tout d’abord une sonorité superbe de bout en bout, et une aptitude à colorer certaines fugues en évoquant tour à tour le Debussy de La Cathédrale engloutie, le Mendelssohn des Fileuses des Romances sans paroles. Autre centre d’intérêt, l’achèvement de la dernière fugue par le pianiste lui-même, avec la superposition contrapuntique des quatre sujets et un Finale très en majesté à force d’octaves de la main gauche.
Incontestablement du très beau piano et une technique superlative, car si la partition est coupée par un entracte, elle est précédée de la redoutable transcription de Brahms pour la main gauche de la Chaconne en ré mineur, jouée avec souffle, grandeur (là encore avec des octaves non écrites) et panache. Et si la pièce raidit fortement le bras – l’artiste s’agrippe d’ailleurs au clavier avec la main droite au moment le plus tendu –, Trifonov n’en enchaîne pas moins avec L’Art de la fugue comme s’il s’agissait d’une seule œuvre. À l’autre bout, le pianiste rajoute une transcription du choral Jésus que ma joie demeure tout à fait dispensable.
On pourra rejuger de cette vision quelque peu déconcertante, à mille lieues d’un Sokolov ou d’un Aimard (les versions piano les plus abouties de l’œuvre selon nous), à travers un double CD concept appelé un peu pompeusement The Art of Life qui sortira à l’automne chez Deutsche Grammophon.
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Festpielhaus, Baden-Baden Le 20/08/2021 Pierre-Emmanuel LEPHAY |
| Concert Bach de Daniil Trifonov au Festspielhaus de Baden-Baden. | Johann Sebastian Bach (1685-1750)
Chaconne de la Partita II BWV 1004
Transcription de Brahms pour la main gauche
Die Kunst der Fuge BWV 1080
JĂ©sus que ma joie demeure (Cantate BWV 147)
Transcription de Myra Hess
Daniil Trifonov, piano | |
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