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CRITIQUES DE CONCERTS |
21 décembre 2024 |
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Reprise de Didon et Énée de Henry Purcell dans la mise en scène de Franck Chartier sous la direction d’Emmanuelle Haïm à l'Opéra de Lille.
Cris et chuchotements
C'est à une expérience d'art total auquel nous convie le collectif Peeping Tom à l'Opéra de Lille autour de Didon et Énée. Doublé en parallèle d'une trame narrative et des interventions de Atsushi Sakaï, le très court opéra de Purcell se transforme en voyage onirique admirablement conduit par Emmanuelle Haïm et son Concert d'Astrée.
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Franck Chartier et sa compagnie Peeping Tom reprennent à l'Opéra de Lille un spectacle créé en mai dernier. Ce Didon et Énée explore le prisme d'une narration imaginaire qui forme un écrin autour du drame originel de Nahum Tate. Le concept convoque autour des personnages des doubles narratifs qui viennent raconter les souffrances sentimentales de Didi, une riche bourgeoise qui tombe amoureuse d'un domestique et finira par le pousser paradoxalement dans les bras d'une dame de compagnie.
Au-dessus de la scène, le chœur trône tel une assemblée de divinités tirant les ficelles et observant une intrigue qui se déroule à ses pieds – intrigante intrigue à vrai dire, avec des moments surréalistes où la fiction plonge dans un catalogue d'images improbables et fantasques. Alternativement pulsée et anguleuse, la chorégraphie compose des ensembles où le corps est plié et ployé en un même mouvement convulsif. Le service du thé se transforme en performance virtuose là où la douleur s'exprime par une série de roulades et de projections. Cet appareillage bouscule et disperse une narration qui a parfois tendance à s'enliser en empruntant des chemins de traverse.
Image forte et surprenante, des quantités de sable font irruption par les cloisons et les fenêtres – allusion à la métaphysique de La Femme des sables, film dramatique de Hiroshi Teshigahara, qui donne au When I am Laid in Earth une portée d'une puissance allégorique remarquable. Se mêle à cette image l'ultime vision d'un Enée transportant le corps mort de Didon, en référence à la fuite de Troie avec son père Anchise, le tout sur fond immaculé et tourmenté de brumes éclatantes.
Le concept scénique offre la possibilité aux chanteurs de multiplier leurs rôles, parfois antagonistes comme la Didon et la magicienne de Marie-Claude Chappuis ou bien la Belinda de Emöke Baráth, aussi Seconde sorcière ou bien encore Marie Lys, dame de compagnie et Première sorcière. Énée (Jacques Imbrailo) chante aussi un marin, complétant un cast réduit à quatre interprètes pour neuf personnages.
Force est de constater que la fragmentation de la scénographie contraint la performance vocale – la Didon de Marie-Claude Chappuis dont la ligne heurtée cherche à se déployer plus librement, en creusant dans un registre grave qui demanderait volontiers davantage de sollicitation. Débarqué à la dernière minute, Jacques Imbrailo prend ses marques en Énée, avec une émission peu courte et une souplesse mise à mal. Très à son aise, Emöke Baráth fait entendre une remarquable élégance dans les changements de registres et le timbre, à l'imitation de Marie Lys.
La fosse est dirigée à deux par Emmanuelle Haïm et Atsushi Sakaï pour les parties additionnelles. La musique du compositeur et instrumentiste japonais s'insère naturellement dans un jeu de transitions mêlant sonorités amères et lents échos qui décomposent littéralement Purcell, tout en le citant. Cette approche brillante se conjugue de belle manière avec la rythmique volontaire et engagée d'Emmanuelle Haïm, capable de faire frissonner et résonner la musique du divin Henry.
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