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CRITIQUES DE CONCERTS |
10 janvier 2025 |
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Symphonie n° 9 de Bruckner par l’Orchestre de la Staatskapelle de Dresde sous la direction de Christian Thielemann au Théâtre des Champs-Élysées, Paris.
Bruckner et l’exorciste
Scandaleusement court, miraculeusement inspiré, le concert Bruckner de la Staatskapelle de Dresde et de son chef Christian Thielemann au Théâtre des Champs-Élysées laisse une onde de choc. Perfection instrumentale, rigueur du discours et intensité dramatique marquent une interprétation de la Symphonie n° 9 qui fera date.
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Il est des concerts qui peuvent mettre tout le monde d’accord. Celui que vient de donner Christian Thielemann avec la Staatskapelle de Dresde est de ceux-là. Un seul chef-d’œuvre au programme, la Symphonie n° 9 d’Anton Bruckner. Une œuvre au cœur du répertoire de l’orchestre et du chef qui l’ont choisie en février dernier pour la substituer au traditionnel Requiem joué chaque année depuis 1951 en commémoration des bombardements de la ville de Dresde à la fin de la Seconde Guerre mondiale.
À Dresde, la symphonie était suivie sans pause par le Te Deum du même Bruckner pour finir par une minute de silence sans applaudissements du public. Si l’on comprend sans peine la difficulté à donner le Te Deum avec son chœur et ses quatre chanteurs solistes en tournée, il n’est pas interdit de penser que la brièveté du programme aurait pu être atténuée en faisant précéder la symphonie d’un prélude de Palestrina de Pfitzner dont le chef à le secret. Cela dit, la petite heure de musique donnée par les Saxons et leur chef berlinois vaut bien des soirées plus longues.
L’introduction qui ouvre la symphonie sonne d’une manière ferme : ces trémolos ne sont pas sentimentaux, et le thème qui suit se déploie d’emblée dans un environnement densément dramatique mais sans rigidité. Usant de tempos très allants, Thielemann construit ce monument à la paix éternelle avec une concision qui n’exclut pas l’intensité interprétative, loin de là. Les qualités présentes dans cette interprétation sont telles que leur réunion peut sembler tenir du miracle. Elles relèvent plus vraisemblablement d’un savoir-faire sans égal dans cette musique.
La précision de la réalisation stupéfait. Les attaques des cuivres restent d’une netteté exemplaire, sans violence gratuite. Celles des cordes semblent avoir déjà commencé avant qu’on ne les entende, en particulier dans les reprises. Les pizzicatos du Scherzo sonnent avec une netteté inouïe. Conséquence de cette rigueur, l’ensemble acquiert une unicité rare où chaque phrase appartient à un tout. La binarité qui grève tant d’interprétations brucknériennes avec leur fatigante opposition systématique de tensions et relâches, laisse ici la place à un syncrétisme manifeste. Usant de phrasés plus droits que voluptueux, Thielemann ne quitte jamais un dessein dramatique : les bois apportent une touche d’humanité sans verser dans le doucereux ; les chorals de cuivres de l’Adagio, triomphants chez d’autres, restent d’une grande noirceur.
Enfin, la sensibilité du chef aux caractéristiques acoustiques du TCE paraît exceptionnelle. Certes l’invraisemblable richesse de timbres de son orchestre est un atout considérable pour pallier la sécheresse des lieux mais jamais cette générosité ne conduit à des saturations malgré une palette dynamique considérable. Thielemann a pris l’exacte mesure de la salle pour que dans le dernier mouvement les silences interrogatifs du discours musical ne tombent jamais à plat. Le chef-d’œuvre rejoint ainsi la cosmogonie du dernier quatuor de Beethoven, et les contradictions apparentes sont enfin exorcisées.
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Théâtre des Champs-Élysées, Paris Le 02/06/2022 Thomas DESCHAMPS |
| Symphonie n° 9 de Bruckner par l’Orchestre de la Staatskapelle de Dresde sous la direction de Christian Thielemann au Théâtre des Champs-Élysées, Paris. | Anton Bruckner (1824-1896)
Symphonie n° 9 (1896)
Staatskapelle Dresden
direction : Christian Thielemann | |
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