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CRITIQUES DE CONCERTS |
21 décembre 2024 |
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Nouvelle production du Château de Barbe-bleue de Bartók et de De temporum fine comoedia de Orff dans une mise en scène de Romeo Castellucci et sous la direction de Teodor Currentzis au festival de Salzbourg 2022.
Salzbourg 2022 (6) :
Les âmes damnées
Le rapprochement du Château de Barbe-bleue avec De temporum fine comoedia occasionne à Salzbourg un de ces spectacles dont le festival a forgé sa légende depuis un siècle. Entre la mise en scène d’encre, truffée de symboles, de Romeo Castellucci et la direction déchaînée de Teodor Currentzis, on ressort du Manège des rochers complètement sonné.
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Cet étonnant double bill voulu par Markus Hinterhäuser, Romeo Castellucci en a fait un spectacle enténébré, occultant totalement le décor naturel de la Felsenreitschule. Avant le vrai prologue de l’opéra de Bartók, récité sur un ton pompeux et en anglais (faute majeure pour ce manifeste magyar), résonnent brièvement, rideau fermé, les pleurs d’un nouveau-né puis ceux de sa mère ; avant l’Apocalypse selon Orff, le péché originel.
Les premiers échanges entre Judith et Barbe-bleue se font dans un théâtre au noir à la Maeterlinck. Nulle ouverture de portes, mais une plongée dans la psyché de personnages rongés d’angoisse, que le feu et l’eau ne suffiront à faire expier. Au lieu de la découverte émerveillée des domaines du duc, la porte V offre la saisissante vision de la jeune femme prise de convulsions sur un lit de camp où elle cherchera, pieds dans l’eau, à s’électrocuter avec les cosses d’une batterie.
Quelques pas de danse n’y pourront mais, l’engloutissement dans la nuit épaisse du château – un tissu noir sur le sol portant l’inscription Meine Haut (ma peau) – sera la seule issue pour la mère en deuil. Le metteur en scène italien livre ensuite un travail rituel et symbolique parfaitement en phase avec l’ultime œuvre scénique de Carl Orff, oratorio-vigile pour la fin des temps créé tout à côté au Großes Festspielhaus en 1973 par Karajan.
Neuf Sibylles masquées lapident Judith et pratiquent des sacrifices d’enfants en annonçant une fin du monde où seuls les vertueux seront rachetés, avant que neuf Anachorètes, qui recréent entre autres tableaux vivants le célèbre Tres de mayo de Goya, ne proclament au contraire que même les plus viles créatures seront sauvées au Jugement dernier, en crucifiant un arbrisseau sur un tronc scarifié érigé en totem, avant de l’abattre.
Au Dies illa, squelettes et silhouettes rampantes sortent de terre, tableau de damnés à la Jérôme Bosch aspirés par la porte des Enfers après un Kyrie d’épouvante. Mais Lucifer murmure « Père, j’ai péché » en opérant sa mue du noir au blanc avec l’immense tissu-peau sur les épaules. Symbole d’un Éden retrouvé, Judith lui offre la pomme, et l’ange revenu à la lumière orne l’épilogue de délicats mouvements chorégraphiés.
L’autre maître d’œuvre de la soirée est Teodor Currentzis, qui tire des couleurs tout aussi noires d’un Gustav Mahler Jugendorchester un peu sec, dans une recherche de nuances si infinitésimale que la formation se lézarde parfois aux frontières du silence. Une ligne de crête qu’on retrouve chez la Judith d’Aušrine Stundyte, créature vampirisée qui halète et suffoque dans un expressionnisme univoque, face au Barbe-bleue distant de Mika Kares.
C’est pourtant dans l’oratorio obsessionnel de Orff que le trublion gréco-russe, avec l’appui de solistes féminines en transe et de chanteurs masculins de musicAeterna à l’allemand parfois douteux, se montre à son sommet d’éloquence. D’une battue de chamane, il transcende les psalmodies sataniques et autres accents forcenés de De temporum fine comoedia avec un groupe de percussions à la frappe phénoménale, entre nappes fumantes et coups de boutoir à ébranler le Manège des rochers.
Que ne s’est-il tenu à son rôle d’exécutant plutôt que d’ajouter à une partition bien assez dense (finalement dans la version moins fantasque de 1981) de longues séquences entre bruitisme et a cappella Renaissance avant chacune des trois parties, ruinant notamment le passage de flambeau rythmique des Sibylles aux Anachorètes ! Ce génial Satan du pupitre, grand « fragmentateur » du discours musical devant l’Éternel, coupable d’hybris dans une production phare, pourrait sans doute à son tour prononcer un Pater, peccavi.
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Felsenreitschule, Salzburg Le 20/08/2022 Yannick MILLON |
| Nouvelle production du Château de Barbe-bleue de Bartók et de De temporum fine comoedia de Orff dans une mise en scène de Romeo Castellucci et sous la direction de Teodor Currentzis au festival de Salzbourg 2022. | Béla Bartók (1881-1945)
A Kékszakállú herceg vára, opéra en un acte op. 11 Sz 48 (1911)
Livret de Béla Balázs
Carl Orff (1895-1982)
De temporum fine comoedia (Das Spiel vom Ende der Zeiten – Vigilia) (1973)
Livret du compositeur d’après des prophéties de sibylles et des hymnes orphiques
(Version finale de 1981)
musicAeterna
Salzburger Bachchor
Salzburger Festspiele und Theater Kinderchor
Gustav Mahler Jugendorchester
direction : Teodor Currentzis
mise en scène, décors, costumes : Romeo Castellucci
préparation des chœurs : Vitaly Polonsky, Benjamin Hartmann & Wolfgang Götz
Avec :
Mika Kares (Barbe-bleue), Aušrine Stundyte (Judith), Helena Rasker (Prologue) ; Nadezhda Pavlova (Sibylle 1), Elizaveta Shveshnikova (Sibylle 2), Frances Pappas (Sibylle 3), Elene Grvitishvili (Sibylle 4), Eleni Lydia Stamellou (Sibylle 5), Elena Gurchenko (Sibylle 6), Taxiarchoula Kanati (Sibylle 7), Irini Tsirakidis (Sibylle 8), Helena Rasker (Sibylle 9), Membres de musicAeterna (Anachorètes), Gero Nievelstein (récitant solo), Christian Reiner (Lucifer), Sergei Godin (ténor solo), Aušrine Stundyte (alto solo). | |
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