Tous les compositeurs ne peuvent espérer pour leur anniversaire un programme de l’Ensemble Intercontemporain juste pour eux, mais celui aujourd’hui concerné n’est pas n’importe qui, puisqu’il s’agit de l’un des plus grands encore vivants. Philippe Manoury a 70 ans, et la création jouée en introduction prouve qu’il n’a rien perdu de sa verve ni de ses mots.

D’une superbe texture dès son introduction, Grammaires du sonore permet à 29 musiciens de l’ensemble (dont le concert inaugural en 1976 contenait déjà une œuvre de l’artiste) de mettre en lumière la qualité de maîtrise du matériau. Les sons évoluent pendant plus de vingt minutes avec différents jeux de syntaxes et de combinaisons, qu’on imagine toujours aussi passionnants à analyser en finesse sur la partition, et gardent une véritable fraîcheur dans leur représentation musicale au concert.

Parfaitement gérée, la composition bénéficie également du geste de François-Xavier Roth, trois jours plus tôt dans la Grande Salle Pierre Boulez avec Les Siècles, en allers-retours toute la semaine entre Paris et Munich où il dirige actuellement la nouvelle production de Lohengrin, et ce vendredi parfaitement ajusté à l’EIC, d’un parfait équilibre entre liberté et précision dans les trois ouvrages du compositeur fêté.

Bien que commémoratif, le concert perd avec la deuxième pièce son caractère festif, puisqu’en plus d’interpréter avec gravité Vier Lieder aus Kein Licht, d’après l’opéra créé en 2017 et des textes moroses de Jelinek et Nietzsche, la mezzo ukrainienne Christina Daletska revient ensuite nappée d’un drapeau de son pays pour un discours et une courte déploration a cappella. Déjà, les derniers accords d’une œuvre pour laquelle on pense en référence aux derniers lieder de Strauss rappelaient ceux introductifs de la Neuvième de Mahler, mais avec cet ajout de la part de la chanteuse, l’atmosphère est évidemment plombée.

L’entracte passé, il faut bien revenir à la vie, au moins tant que notre pays a encore de l’électricité… et de grands musiciens ! Alors peut-on reprendre avec Manoury, sous la direction toujours d’une impeccable maîtrise de Roth devant des musiciens parfaitement préparés pour une partition créée par la formation il y a vingt-quatre ans dans la même salle de la Cité de la Musique. D’une quarantaine de minutes, Fragments pour un portrait débute par des bois dédoublés en groupe, pour se développer en sept parties, dont ressortent des citations des plus grands : Stravinski, Bartók, ou encore Varèse.

Bien plus léger, un Joyeux anniversaire chanté en chœur par les musiciens et le public clôt la soirée, tandis que le chef offre au jeune septuagénaire un paquet qu’on espère, vu la forme, agréable à boire pendant la nouvelle décennie à venir !