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CRITIQUES DE CONCERTS |
21 décembre 2024 |
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Nouvelle production du Mandarin merveilleux et du Château de Barbe-bleue de Bartók dans une mise en scène de Christof Loy et sous la direction de Ivor Bolton au Théâtre de Bâle.
L’abîme amoureux
Au-delà des similarités musicales, la réunion par Christof Loy du Mandarin merveilleux et du Château de Barbe-bleue donne une soirée qui n’a rien de fortuite. Portée par des danseurs et des chanteurs exceptionnels, l’ensemble frappe par son unité dramaturgique. D’abord par une évidence physique insoutenable puis par ses réminiscences en suggestions perturbantes.
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À cour, des constructions sur de hauts pilotis comme on en voit sur les estuaires ; à jardin, une cabine téléphonique mal en point, un matelas et quelques ordures. De la sombre forêt de madriers s’avance un collégien qui déclame sur un ton ironique le prologue écrit pour Le Château de Barbe-bleue. Rapidement couvert par la houle des bruits de la ville évoqués par l’orchestre de ce début du Mandarin merveilleux, il se retire derrière les pilotis pour être le témoin des agissements de la bande des mauvais garçons et de la fille qu’ils forcent à rabattre des clients.
La chorégraphie imaginée par Christof Loy expose clairement la violence physique de la situation mais il sait aussi faire apparaître les sentiments de manière fugitive et l’on voit, après les deux premiers clients molestés, naître la relation de la fille avec le mandarin. Mais aussi la violence du désir et ses soubassements obscurs. Par trois fois les voyous s’attachent à tuer le mandarin qui résiste à l’étouffement avec un sac plastique, au coup de poignard et à la strangulation.
Comme si la présence du collégien/prologue en tant que témoin épouvanté n’était pas suffisante pour nous impliquer dans cette violence scénique, c’est à lui (à nous ?) que revient la tâche de porter le coup de grâce au mandarin en le noyant dans un trou d’eau. Loy ajoute en postlude au ballet, un sobre duo dansé par la fille et le mandarin sur l’Andante tranquillo de la Musique pour cordes, percussion et célesta, voulu comme une résurrection, une utopie du sentiment amoureux face au sordide. Le Château de Barbe-bleue qui suit aurait pu s’enchaîner sans entracte tant le metteur en scène déroule un lien incroyablement fort avec Le Mandarin.
Le collégien revient déclamer le prologue. Le même texte sur un ton beaucoup plus sombre alors que le décor a évolué comme si la marée était montée dans l’estuaire : les pilotis ont disparu et la cabine téléphonique est presque engloutie. Le couple formé par le duc et Judith rappelle clairement celui des amants de la première partie. Après l’incapacité à vivre l’amour ensemble, Loy expose l’incapacité à résoudre les conflits du couple, jusqu’à la catastrophe. Aucune porte ne s’ouvre pourtant, rien d’autre n’est montré que ces conjoints argumentant autour et sur le matelas échoué au sol. Sobriété scénique rendue possible par tout ce qui a précédé. Et par l’engagement intense des deux chanteurs.
Au premier chef par Christof Fischesser, immense Barbe-bleue, dont la voix traduit les mille inflexions du théâtre de l’âme imaginé par Bartók. Plus monolithique, manquant peut-être de séduction vocale, Evelyn Herlitzius fait de Judith une torche dans l’obscurité gagnante. Dans la fosse, Ivor Bolton travaille la pâte et les textures sonores bien plus que la brillance de partitions qui trouvent sous sa baguette attentive des résonnances particulièrement troubles ce soir.
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Theater, Basel Le 12/12/2022 Thomas DESCHAMPS |
| Nouvelle production du Mandarin merveilleux et du Château de Barbe-bleue de Bartók dans une mise en scène de Christof Loy et sous la direction de Ivor Bolton au Théâtre de Bâle. | Béla Bartók (1881-1945)
Le Mandarin merveilleux, ballet-pantomime en un acte (1918-1924)
Livret de Menyhért Lengyel d’après un conte chinois
Nicky van Cleef (Le mandarin)
Carla Pérez Mora (La fille)
Joni Osterlund, Mário Branco et Jaroslaw Kruczek (Les trois mauvais garçons)
Nicolas Franciscus et Alessio Urzetta (Les deux prétendants)
Le Château de Barbe-bleue, drame lyrique en un acte (1911)
Livret de Béla Balázs
Evelyn Herlitzius (Judith)
Christof Fischesser (Barbe-Bleue)
Nicolas Franciscus (récitant)
mise en scène et chorégraphie : Christof Loy
décors : Márton Ãgh
costumes : Barbara Drosihn
éclairages : Tamás Bányai
Chœur du Théâtre de Bâle
Orchestre symphonique de Bâle
direction : Ivor Bolton | |
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