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CRITIQUES DE CONCERTS |
31 octobre 2024 |
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Nouvelle production de Peter Grimes de Britten dans une mise en scène de Deborah Warner, sous la direction de Alexander Soddy à l’Opéra national de Paris.
Emporté par la houle
Attendue depuis sa première à Madrid en 2021, la coproduction de Peter Grimes entre l’Opéra de Paris, le Teatro Real, Londres et Rome, ne déçoit en rien. Ce drame d’une communauté déclassée qui se referme jusqu’à l’exclusion violente d’un des siens est porté avec sobriété par la metteure en scène Deborah Warner et le chef Alexander Soddy.
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Complicité artistique
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Hommage au réalisme poétique
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L’extraordinaire puissance dramatique de Peter Grimes pourrait se suffire à elle-même. En tous cas, il serait dangereux d’en rajouter tant du point de vue de la mise en scène que de celui de l’interprétation musicale. Deborah Warner l’a parfaitement saisi. En représentant l’action dans une petite ville cruellement déclassée d’aujourd’hui, elle s’écarte du danger de la vision attachante du petit port de pêche d’antan. La stylisation des décors évite cependant un réalisme trop glauque qui pourrait prendre le pas sur les personnages, et la mer reste suggérée tant la musique des interludes l’évoque avec éloquence.
Sans moquerie, la direction d’acteur croque des personnages soudés dans la misère. Dès l’interlude, les torches braquées sur Grimes font écho aux fractures de la musique et isolent l’étranger de l’intérieur qu’est Grimes. Une touche poétique est apportée par un acrobate qui apparaît de temps à autre pour figurer le premier apprenti mort en mer avant le début de l’opéra. On regrette cependant que soit projetée très prosaïquement sur le rideau de scène la mention « interlude n° 1 »... Et l’on s’interroge sur cet apprenti enfant tellement frêle qu’il ne doit être d’une grande utilité en mer. Ces réserves comptent peu au final pour un spectacle qui sert l’œuvre avec une sobriété idéale.
Le chef Alexander Soddy a également compris l’ambiguïté de la musique de Britten, entre pudeur et démonstration. Les proportions des scènes qui vont de l’intime au collectif le plus brutal sont admirablement respectées et intégrées dans un dessein global au flux irrépressible. L’Orchestre de l’Opéra de Paris trouve naturellement le tranchant et le lyrisme de cette musique. La géniale passacaille illustre cette beauté sauvage avec des cuivres et percussions d’une virtuosité rageuse et un alto solo absolument déchirant.
Sur scène, les chœurs trouvent l’articulation juste tandis que la distribution constitue un sans-faute. Le Swallow merveilleusement timbré de Clive Bayley, le Bob Boles d’une méchanceté aigre de John Graham-Hall, la Sedley délicieusement parodique de Rosie Aldridge, la Tantine savoureuse de Catherine Wyn-Rogers, les « nièces » pointues de Anna-Sophie Neher et Ilanah Lobel-Torres, le révérend faux-cul de James Gilchrist ou le Hobson façon hooligan de Stephen Richardson, tous seraient à louer de manière détaillée.
Mais il faut souligner les performances exceptionnelles de Jacques Imbrailo pour un Ned Keene au verbe ravageur et de Maria Bengtsson pour une Ellen bouleversante qui encaisse toutes les bassesses. Encore plus haut, le Balstrode de Simon Keenlyside est d’une présence vocale et physique qui fait communion avec le spectateur en témoin impuissant du drame. Au sommet, le Grimes d’Allan Clayton allie une voix d’une beauté que n'ont pas toujours eu les grands titulaires du rôle à une évidence de jeu qui ne simplifie jamais le côté protéiforme de son personnage déconnecté d’une réalité insupportable.
Après ce triomphe, l’Opéra de Paris nous doit à présent l’autre opéra mis en scène par Deborah Warner, ce Billy Budd dont il a pourtant été coproducteur, qui nous avait été promis avant d’être déprogrammé.
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Palais Garnier, Paris Le 01/02/2023 Thomas DESCHAMPS |
| Nouvelle production de Peter Grimes de Britten dans une mise en scène de Deborah Warner, sous la direction de Alexander Soddy à l’Opéra national de Paris. | Benjamin Britten (1913-1976)
Peter Grimes, opéra en un prologue et trois actes (1945)
Livret de Montagu Slater d’après The Borough de George Crabbe
Chœurs et Orchestre de l’Opéra national de Paris
direction : Alexander Soddy
mise en scène : Deborah Warner
décors : Michael Levine
costumes : Luis F. Carvalho
Ă©clairages : Peter Mumford
préparation des chœurs : Ching-Lien Wu
Avec :
Allan Clayton (Peter Grimes), Maria Bengtsson (Ellen Orford), Simon Keenlyside (Balstrode), Catherine Wyn-Rodgers (Auntie), Anna-Sophie Neher (première nièce), Ilanah Lobel-Torres (seconde nièce), John Graham-Hall (Bob Boles), Clive Bayley (Swallow), Rosie Aldridge (Mrs. Sedley), James Gilchrist (révérend Adams), Jacques Imbrailo (Ned Keene), Stephen Richardson (Hobson), Simon Milhaud (l’apprenti) et Juan Leiba (acrobate). | |
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