« De mémoire d’auditeur, jamais deux Premier prix du Concours Chopin n’avaient été réunis sur une même scène pour un récital. » La phrase du producteur de ce concert parisien résonne à l’entrée de Bruce Liu, lauréat du concours 2021 qui a souhaité partager l’affiche avec son maître Dang Thai Son, vainqueur à Varsovie en 1980.
Aucun des deux ne souhaitant griller la priorité à l’autre, il avait été décidé que Liu ouvre la soirée, avec des pièces de Rameau. Les Tendres plaintes permettent de mesurer la finesse du toucher, moins bénéfique aux Cyclopes, un peu perdus avant les plus agiles Menuets I & II. Les Sauvages puis La Poule s’enchaînent jusqu’à une dernière Gavotte subtile et d’un geste toujours extrêmement leste.
Liu salue succinctement, puis se rassoit pour aborder Chopin et sa Ballade n° 3. Bien que le pianiste canadien démontre une véritable affinité avec le compositeur romantique, on remarque pourtant une forme de retenue qui irrigue également le Scherzo n° 4, où il cherche à amplifier le discours sans véritable succès.
En deuxième partie, Dang Thai Son prend place devant le Steinway, pour d’abord deux pièces de Fauré, abordées elle aussi avec une véritable finesse et un style très français, sans pour autant parvenir à décupler l’expressivité. Reparti en coulisse, l’artiste ne revient pas et laisse la scène se rallumer, avant qu’un technicien n’annonce un souci technique et la recherche de l’accordeur, jamais retrouvé…
Après de longues minutes, le pianiste réapparaît en prévenant qu’à cause d'une note désaccordée, il n'utilisera plus la pédale lorsque la note en question est jouée. On ne sait si cela altère vraiment le toucher, mais par rapport au Chopin de Liu, le sien accroche moins, même si la dernière des Trois Écossaises op. 72 montre une belle qualité de poignets. La célèbre Valse en fa mineur op. 70 n° 2 capte plus par son génie propre et une technique exemplaire que par son interprétation, tandis qu’après les Quatre Mazurkas, la Polonaise héroïque ajoute un peu de ferveur à la fin de soirée.
Revenus à deux comme l’avait rêvé le producteur Michel Mollard, les pianistes donnent en bis les Variations sur un air national de Moore, écrites par Chopin pour quatre mains et qui, sans les mettre en concurrence, montrent cependant un surplus d’intensité du jeu de Bruce Liu dans les aigus. Maître et élève applaudis avec ferveur échangent leur position pour le Paradis féérique de Ravel, déjà interprété par Liu en début d’année à La Chaux-de-Fonds avec Victorien Vanoosten, dans un rendu plus magique.
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