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CRITIQUES DE CONCERTS |
22 décembre 2024 |
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Nouvelle production de Così fan tutte de Mozart dans une mise en scène de Dmitri Tcherniakov et sous la direction de Thomas Hengelbrock au festival d’Aix-en-Provence 2023.
Aix 2023 (2) :
L'illusion tragique
Six ans après sa Carmen controversée, Dmitri Tcherniakov fait son retour à Aix avec une lecture à la fois puissante et radicale de Così fan tutte, un spectacle qui se hisse assurément parmi les plus grandes mises en scène du dramma giocoso. Un remarquable hommage à l'œuvre avec laquelle s'était ouverte la première édition du festival en 1948.
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Théâtre de l’Archevêché, Aix-en-Provence
Le 06/07/2023
David VERDIER
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On ne s'attaque pas impunément à Mozart, surtout à Aix… et surtout pour une partie du public pour qui Così fan tutte exprime l'exemple même de la comédie façon Crébillon fils, à la tournure vaguement scandaleuse. Affronter sans détour le livret de Da Ponte dans une dimension qui confine à la nudité et à la brutalité des sentiments, c'est l'un des éléments du pari gigantesque relevé de la plus belle des manières par un Tcherniakov au sommet de son art.
Le metteur en scène ne considère pas ici que le jeu de rôle que propose Don Alfonso à Guglielmo et Ferrando parvienne à tromper réellement Dorabella et Fiordiligi. L'illusion est pour lui à ce point improbable qu'il préfère montrer au contraire deux couples parfaitement conscients de ce qu'ils viennent chercher quand ils débarquent dans cette luxueuse résidence qui servira de décor à cette expérience intime et sensuelle.
Alfonso et Despina sont les maîtres d'œuvre d'un scénario dont l'issue est connue de tous les protagonistes, à savoir croiser les couples. Les acteurs de ce dramma giocoso amer n'ont plus l'âge de s'illusionner : Tcherniakov a voulu des interprètes matures qui traduisent par leur apparence physique et leur voix le fait qu'ils cherchent le moyen de donner à leur couple une nouvelle impulsion.
À la fois touchants et lamentables, ces êtres pétris d'une certitude bourgeoise viennent chercher un piment à leurs relations dans ce lieu isolé de tout. Le jeu de rôle, au début innocent, se transforme en un mécanisme machiavélique qui se retourne contre eux dans une conclusion glaçante et sadienne qu'on se gardera bien de révéler ici tant le choc visuel mérite avant tout d'être vécu en direct.
Le plateau répond au choix dramaturgique, avec le sentiment que ces voix mûres sont encore tout à fait capables d'interpréter des rôles longtemps fréquentés, mais sans la brillance ni la virtuosité technique des jeunes du circuit actuel. Ce crépuscule darde encore de beaux rayons dans le très touchant Ei parte de la Fiordiligi d'Agneta Eichenholz ou le Un'aura amorosa du Ferrando de Rainer Trost.
Russell Braun (Guglielmo) module le phrasé dans Non siate ritrosi avec un art consommé de la projection alors que la Dorabella de Claudia Mahnke surprend son monde avec un Smanie implacabili volontaire et véhément. Georg Nigl donne à Don Alfonso un profil étonnant et ouvertement méphistophélique. Puisant dans un parlando expressif, il incarne la moindre parcelle d'un rôle découpé sur mesure par le metteur en scène. La Despina de Nicole Chevalier est ici le rôle le plus complexe, admirablement servi par une voix alternant cruauté et douceur.
Seule ombre au tableau, le geste imprécis et précipité de Thomas Hengelbrock laisse planer le doute sur les qualités de l'Orchestre Balthasar Neumann à servir un théâtre aussi intransigeant et implacable. Souhaitons que les prochaines représentations donnent l'occasion au volet musical de ce spectacle de trouver ses marques…
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