Dès les premiers accords de la Chapelle de Guillaume Tell, Tanguy de Williencourt donne au thème en forme d’hymne une amplitude solennelle qui s’intensifie peu à peu sans aucune dureté dans le toucher. Les quatre pièces suivantes déclinent tout un imaginaire aquatique auquel le pianiste donne de subtils reliefs.

On admire l’équilibre qui s’établit dans Au lac de Wallenstadt entre les ostinatos dessinés à la main gauche et le thème à la main droite, ainsi que les variations de puissance dans Orage qui lui confère une véritable force visuelle. Ce sens de l’architecture sonore s’accomplit entièrement dans la Vallée d’Obermann où chaque apparition du thème se fait dans une couleur différente. De la même approche, la délicatesse des timbres du Mal du pays et la pureté cristalline des Cloches de Genève font merveille.

Le jeu de Jean-Frédéric Neuburger s’impose dans la Deuxième année avec une force plus abrupte et un discours plus mouvementé. Le thème en valeurs pointées de Sposalizio est joué serré, et surgit à la fin dans toute sa puissance. Le pianiste sculpte le son et l’accentuation dans Il Penseroso, notamment dans les notes répétées, et ne gomme aucune aspérité rythmique dans les trois Sonetti del Petrarca ; la sensation de suspens à la fin du deuxième et au début du troisième n’en est que plus émouvante.

Les contrastes d’intensité dans Après une lecture du Dante (joué après de premiers saluts) poussent ensuite les fortissimos à l’extrême des possibilités du piano. Annoncé au retour du deuxième entracte, le supplément toujours interprété par Neuburger paraît plus rond dans Gondoliera, avant de retrouver son énergie explosive dans la Canzone et la Tarentella.

C’est en adéquation avec l’écriture de la Troisième année que le jeu de Nathanaël Gouin va s’exprimer. Le phrasé dans Angelus ! est simple, chanté à la manière d’un choral, avec une sonorité très pure jouant sur les silences. La stabilité rythmique d’Aux cyprès de la villa d’Este – Thrénodie 1 donne à l’ostinato initial de la main gauche un aspect implacable, évoquant la proximité de la mort. Dans Thrénodie 2, les passages arpégés, d’une remarquable égalité, paraissent comme suspendus ; par contraste, les voix intérieures des passages contrapuntiques suggèrent l’inflexion d’une plainte humaine.

Enfin, les Jeux d’eau de la villa d’Este se déploient avec une articulation d’une pureté minérale, faisant écho à l’univers aquatique de la Première année. On revient dans les deux dernières pièces aux accents obsédants de la mort, avec un jeu qui se fait beaucoup plus déclamatoire, conférant à cette Troisième année de pèlerinage la gravité d’une méditation funèbre.