Le degré de préparation de l’Orchestre des Jeunes Gustav Mahler se ressent dès son entrée en scène, solennelle, les musiciens en file indienne, qui prépare parfaitement à l’audition de la Neuvième de Mahler. Accord patient et rigoureux, qui distille déjà une certaine tension sur la scène du Manège des rochers, dans un morceau du décor de La Passion grecque de Martinů.

Jakub Hrůša, particulièrement sous les projecteurs depuis sa nomination à Covent Garden, sera ce soir on ne peut plus pragmatique. Plutôt que de se lancer dans une interprétation détachée, philosophique, il préfère jouer des qualités de jeunes instrumentistes gonflés à bloc, à l’enthousiasme débordant, dans une lecture ardente, tout sauf le testament d’un compositeur à bout de forces.

Pour autant, aucune facilité, aucun clinquant, aucune superficialité dans cette approche qui prône la tension par le rythme et la répétition, qui défriche la partition avec une clarté totale de la polyphonie. On a peur quelques instants devant la blancheur des seconds violons dans l’entame du premier thème, mais l’accroche, le poids de l’archet, le mordant de leur Ländler un mouvement plus tard effacent les interrogations.

Dans une étonnante configuration, violons I et II face à face, mais les altos à côté des premiers violons et les contrebasses derrière les seconds, Hrůša joue des contrastes entre effets de masse et contrepoint, l’œil sur une pulsation sans cesse entretenue, même dans la raréfaction du tissu instrumental d’une coda de l’Andante comodo initial de pur éther.

Les mouvements centraux bénéficient le plus du feu de la jeunesse, avec ce Ländler II aux attaques franches, façon guitare géante, ce camaïeu de détails du Ländler III, cet emballement de valse au bord de l’abîme du climax, au milieu des accents génialement grotesques des clarinettes dans le grave. Mais le sommet d’électricité est atteint dans le Rondo-Burleske, prestissime, constamment au bord de l’implosion, où les cordes rivalisent d’acuité dans leurs motifs.

L’Adagio final ne relâche jamais non plus son étreinte, vents d’une magnifique éloquence, cordes parfaitement domestiquées en pupitre, moins exceptionnelles dans les solos ; mais les musiciens ont déjà tellement donné… Malgré quelques toux, craquements de fauteuils, bruits de piluliers et de plaquettes Strepsils, la désintégration terminale fonctionne à plein, et impose un vrai silence de salle après la fin de la musique.