Sous-titrĂ© « actes de mĂ©moire et de deuil Â», Mnemosyne est une partition qui porte en elle l'expĂ©rience d'une pĂ©riode chargĂ©e en sentiments contradictoires que le compositeur Ă©cossais a su exprimer Ă  travers un voyage ininterrompu et d'une dimension gĂ©nĂ©reuse. L'Ĺ“uvre est donnĂ©e dans une configuration assez originale, avec un Ensemble intercontemporain au centre de la Salle des concerts de la CitĂ© de la Musique sur une structure circulaire avec le public disposĂ© tout autour. Ce plateau est Ă©quipĂ© d'un système mĂ©canique qui lui permet d'effectuer une lente et imperceptible rotation Ă  360° sur toute la durĂ©e de l'Ĺ“uvre – signature visuelle d'une discrète scĂ©nographie placĂ©e sous le signe mĂ©taphorique d'un théâtre de la mĂ©moire.

L’œuvre est structurée en cinq mouvements qui forment un polyptique construit à la manière d'une suite d'actes d'un opéra sans personnages ni narration. On passe progressivement d'une partie à l'autre par un système de croisement et de superpositions qui se subdivisent à leur tour tels des panneaux historiés que l'on déplie au fil de cette heure et quart de musique. Pierre Bleuse navigue avec assurance et liberté dans ces nappes étroitement sédimentées à l'intérieur desquelles l'écriture de Dillon déploie de fabuleux trésors esthétiques. Tantôt heurtée ou déliée, la ligne générale joue sur un assemblage de densités et d'intensités volumétriques avec des reflets de timbres qui témoignent d'une matière sonore admirablement sophistiquée.

Sollicitant des solistes des modes de jeu relativement explicites, la conduite harmonique de Mnemosyne dessine en filigrane une structure qui n'interfère jamais vraiment avec la vibration de la matière sonore et un tempo général majoritairement étale et lancinant. L'onirisme des figures sert indifféremment de thématique aux cordes et petite harmonie tandis que les deux pianos placés avec les percussions à l'extérieur de la scène rotative soulignent discrètement la carrure rythmique.

C'est le balancement ambigu entre précision et abstraction mémorielle qui sert de grille de lecture à une partition où l'écoute côtoie la contemplation de ce vaste plateau dont l'extrême lenteur de la rotation rythme le déroulement. Substituant l'exactitude du souvenir auditif et visuel par une vaste dimension imaginative, Dillon oblige le spectateur à un lâcher-prise méditatif dans lequel tous les éléments de la pièce finissent par s'agencer les uns avec les autres dans un jeu infini et subtil. L'expérience sonore infuse telle la lumière noire et mélancolique des eaux du Léthé, sur le mode métaphorique de la figure mythologique de Mnémosyne plongée dans les eaux du fleuve de l'oubli.