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CRITIQUES DE CONCERTS |
21 décembre 2024 |
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RĂ©cital de la pianiste Beatrice Rana Ă la Philharmonie de Paris.
Dérèglement artistique
De la Fantaisie de Scriabine à la Sonate en si mineur de Liszt, en passant par trois pièces de Debussy et une rareté de Castelnuovo-Tedesco, Beatrice Rana expose un jeu sans cohérence stylistique où les nuances se réduisent aux seuls extrêmes. Une affectation qui n’est même pas un maniérisme mais qui confine à une épate égotique.
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Les interprétations les plus subjectives suscitent sans doute les critiques les moins objectives. Pour autant, lorsque le jeu d’un musicien présente des caractéristiques de plus en plus évidentes, il est possible d’en tirer quelques conclusions. C’est le cas avec ce récital de Beatrice Rana. La pianiste choisit d’ouvrir la soirée avec la redoutable Fantaisie de Scriabine, composition qui écartèle le piano entre une ligne de basse puissamment descendante et une ligne de chant qui cherche au contraire à s’élever dans le haut du registre.
Semblant hésiter sur les nuances dynamiques, Rana peine à exposer la mélodie. C’est encore plus patent dans la réexposition où son jeu se voudrait par moment tendre mais est globalement écrasé par des appuis fortissimo, tandis que la passion n'est qu’agitation, au point que l’écriture furieusement contrapuntique en devient illisible. Les méconnus Cyprès de Castelnuovo-Tedesco trouvent la pianiste plus heureuse dans une mélancolie à peine rompue ici et là par quelques envolées très évocatrices. En revanche, on cherche la raison de son jeu désincarné dans la première des pièces de Debussy qu’elle propose.
La Terrasse des audiences du clair de lune sonne sans vie et détimbrée. En contraste total, Rana assène de manière ultraviolente Ce qu’a vu le vent d’ouest comme une sorte d’effet du dérèglement climatique. L’Isle joyeuse la retrouve hésitante entre un jeu presque timide et des passages écrasés qu’un usage immodéré de la pédale ne peut unifier. L’entrain est indéniable mais brouillonne défigurant le dessin de la pièce. Après l’entracte, la Sonate en si mineur de Liszt n’apporte pas plus de cohérence.
Aux premières notes singulièrement atones succèdent des rafales spectaculaires. Rana pousse à l’extrême la dichotomie de la sonate, au point de la réduire à une caricature. Il faut relever une très fâcheuse tendance à jouer systématiquement les passages pianissimo avec une lenteur déconcertante tandis que les fortissimos sont débités le plus rapidement possible. Sans nuances intermédiaires, l’œuvre sombre dans une lecture séquentielle d’autant que la pianiste italienne cultive davantage le staccato que le cantabile.
Il est extrêmement rare, et nous ne l’avions jamais vécu, que les bis donnent une impression presque pire que le concert proprement dit. La pianiste entonne à deux à l’heure l’Étude en ut mineur op. 2 n° 1 de Scriabine et transforme la mélancolie en déliquescence exaspérante. La Romance sans parole « La Fileuse » de Mendelssohn tourne à vide comme l’emblème d’un jeu basé sur des effets gratuits.
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Philharmonie, Paris Le 13/02/2024 Thomas DESCHAMPS |
| RĂ©cital de la pianiste Beatrice Rana Ă la Philharmonie de Paris. | Alexandre Scriabine (1871-1915)
Fantaisie, op. 28 (1900)
Mario Castulenovo-Tedesco (1895-1968)
Cipressi, op. 17 (1920)
Claude Debussy (1862-1918)
La Terrasse des audiences du clair de lune (1912)
Ce qu’a vu le vent d’ouest (1911)
L’Isle joyeuse (1904)
Franz Liszt (1811-1886)
Sonate en si mineur (1853)
Beatrice Rana, piano | |
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