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CRITIQUES DE CONCERTS |
21 décembre 2024 |
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Canticles de Britten autour du ténor Allan Clayton au Théâtre de l’Athénée, Paris.
Troublante homophonie
Les Canticles de Britten sont portés à l’effusion la plus intense avec un groupe de musiciens d’une rare justesse musicale et dramatique. Le ténor Allan Clayton avec la complicité du pianiste Julius Drake rompu à ce répertoire atteint une sorte de transe musicale. Les poèmes lus par la comédienne Harriet Walter éclairent tout le génie du compositeur.
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Au cœur du répertoire écrit par Britten pour son compagnon Peter Pears, les Cinq cantiques sont d’essence plus spirituelle que proprement religieuse. Par la variété des textes, de la parabole sacrée au poème profane, par des combinaisons renouvelées autour de la tessiture de ténor, le compositeur ne lasse jamais. La dernière présentation à Paris de ces pièces remonte à 2015 où Cyril Dubois les avait chantées sur deux soirées à l’amphithéâtre de l’Opéra Bastille.
Ce soir, à l’Athénée, le public est bien moins nombreux malgré une équipe idiomatique regroupée autour d’Allan Clayton, le Peter Grimes inoubliable de la saison passée à Garnier. Produit par Le Balcon, le concert est intimement mis en lumière et permet de se focaliser sur les mots. Au premier chef ceux de la comédienne britannique Harriet Walter en préambule à la plupart des cantiques.
Sa diction impeccable, d’un classicisme lumineux, fait ressortir l’élégance de la langue. Le premier cantique My beloved is mine and I am his a été vu comme un hymne amoureux du compositeur à Peter Pears. Allan Clayton en restitue à la fois la fièvre et le sentiment de confiance, tout en suivant le style en hommage à Purcell. Plus hermétique le cinquième et ultime cantique est d’une grande économie de moyens.
Pour cette évocation de la mort de saint Narcisse, le ténor est accompagné de la seule harpe. Olivia Jageurs s’y montre agile mais un peu monochrome dans le rendu des couleurs, tandis que la rondeur de la voix de Clayton n’exclut pas une ambivalence fondamentale dans cette oraison funèbre. L’homophonie est en revanche au cœur du quatrième cantique.
Le baryton George Humphrey fond sa voix parfaitement avec celle du ténor. Dans cette longue et sombre évocation du voyage des Rois mages, l’unisson est souvent rompu par le troisième chanteur, le contreténor Christopher Lowrey, en forçant un peu le trait. La poétesse Edith Sitwell a sans doute plus inspiré le compositeur pour Still falls the rain.
Il assortit le ténor et le piano d’un cor qui confère toute la gravité requise dès un prélude qui mêle l’évocation des bombardements de 1940 à la passion du Christ. Le corniste Richard Watkins sait se faire agressif ou rêveur selon les sections, formant ainsi de vastes espaces encadrant les déclamations du ténor. Le deuxième cantique vient clore la soirée.
Le sacrifice d’Isaac atteint l’expressivité d’un opéra miniature. Le piano de Julius Drake, jusqu’ici une voix autant attentive que variée, devient un commentateur biblique. Clayton fait un patriarche irradiant, qui tonne sans faiblesse. Britten a composé la partie du fils sacrifié pour Kathleen Ferrier mais depuis lors Isaac est presque toujours chanté par un contreténor ou un alto enfant.
Dans cette tessiture, Lowrey, parfaitement à l’aise, compose un enfant d’une douceur et d’une obéissance bouleversantes. Et que dire du passage où Clayton et lui nous tournent le dos pour figurer en homophonie la voix de Dieu, une énième trouvaille ensorcelante du compositeur ? La formidable osmose des deux chanteurs atteint un effet troublant et pénétrant, à l’image de toute cette soirée musicale.
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Athénée Théâtre Louis-Jouvet, Paris Le 26/02/2024 Thomas DESCHAMPS |
| Canticles de Britten autour du ténor Allan Clayton au Théâtre de l’Athénée, Paris. | Benjamin Britten (1913-1976)
Canticle I My beloved is mine and I am his, op. 49 (1947)
Canticle V The Death of Saint Narcissus, op. 89 (1974)
Canticle IV The Journey of the Magi, op. 86 (1971)
Canticle III Still falls the rain, op. 55 (1954)
Canticle II Abraham and Isaac, op. 51 (1952)
Allan Clayton, ténor
George Humphreys, baryton
Christopher Lowrey, contreténor
Harriet Walter, récitante
Julius Drake, piano
Olivia Jageurs, harpe
Richard Watkins, cor | |
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