La pièce Flight pour flûte solo, composée en 1979, se place en judicieux préambule du conte, outil principal de l’étranger qui chasse les rats de la ville. Claire Luquiens interprète avec une aisance naturelle cette courte pièce très virtuose dans laquelle les longs traits cherchent à trouver la lumière, pourtant systématiquement ramenés vers l’obscurité, d’où ils venaient. Into the little Hill raconte l’histoire du Joueur de flûte de Hamelin, retravaillée par Martin Crimp, collaborateur privilégié de George Benjamin. Créé en 2006, il fait partie de ces œuvres reprises régulièrement, ce qui est loin d’être le cas de toutes les productions d’opéra contemporain.

Dans une ville, un ministre veut se faire réélire. Pour cela, il engage un illustre inconnu qui promet de débarrasser de la ville des rats en échange d’argent. Le ministre accepte. L’inconnu charme les rats avec sa flûte et les conduit sous terre, garantissant la réélection. Mais le ministre refuse de payer le joueur de flûte et pour se venger, ce dernier cible les enfants de la ville qui subissent le même sort que les rats. Le livret, ciselé, se déploie de façon très efficace avec des phrases courtes et descriptives.

La vidéo de Yann Chapotel ainsi que la mise en scène de Jacques Osinski rencontrent le substrat politique du conte tout en gardant une dimension naïve et enfantine qui colle à la musique discrète mais très équilibrée de Benjamin. Sur l’abat-jour de la fille du ministre, on voit défiler la lune et les multiples rats de la ville, aux attributs humains. Les deux chanteuses, l’alto Camille Merckx et la soprano Elise Chauvin, incarnent tous les personnages. Tout comme la musique, la mise en scène intimiste cantonne les deux protagonistes au-devant de la scène. La vidéo apparaît une fois anecdotique, alors qu’elle double le livret en montrant le ministre endormi sur son bureau.

Camille Merckx prend du temps à apprivoiser l’acoustique de la salle mais son manque de projection s’efface peu à peu laissant place à une interprétation engagée aux graves amples et ronds. La soprano incarne tour à tour parfaitement le mystérieux joueur de flûte, puis la fille perdue et envoûtée du ministre à l’allure désincarnée. La ligne vocale de l’inconnu, très escarpée, se voit complètement maîtrisée par Elise Chauvin.

L’Ensemble Carabanchel exécute avec finesse la partition aux sonorités si particulières de Benjamin : tout a été pensé dans l’orchestration pour faire ressortir à quelques endroits la flûte basse ou laisser les cors de basset dialoguer avec le chant. L’apparition du cymbalum ajoute au côté désincarné et inquiétant de l’histoire. Conçue en huit scènes, des éléments thématiques et textuels reviennent notamment le Kill them, they bite, premiers mots du conte, qui glacent le sang. Le chef, Alphonse Cemin, rend parfaitement l’atmosphère sombre et nauséabonde qui découle de la partition.