Victime d'une censure qui lui reprochait de mêler imprudemment les thèmes sacrés et profanes, le Samson de Rameau renaît à Aix grâce à Raphaël Pichon et Claus Guth. Réunis à l'initiative de Pierre Audi, les deux protagonistes ont cherché non pas à reconstruire archéologiquement parlant, mais à recréer l'esprit d'un opéra dont les traces subsistent dans la correspondance du compositeur et de ses contemporains. Ainsi, un grand nombre de ses airs ont été repris dans d'autres ouvrages de Rameau et le livret publié par Voltaire permet de se faire une idée de l'œuvre originale.

Le sujet est étonnant : Samson est désigné comme nazir (élu de Dieu) doté d'une force extraordinaire et soumis à une série d'épreuves morales autant que sentimentales au terme desquelles il commettra ce que le metteur en scène compare à un suicide et meurtre de masse. Cette modernité référentielle est au cœur de la démarche, augmentée par une réflexion sur l'origine et l'usage de la force qui oblige à s'intéresser à la naissance du héros.

Ce dernier point est sans doute le moins convaincant puisqu'il contraint à des interruptions où l'actrice Andréa Ferréol intervient pour imposer un récit (assez mal sonorisé). Des parenthèses sonores remplacent efficacement une absence de récitatifs qu'il aurait été périlleux de reconstruire, et s'inscrivent parfaitement dans le fabuleux décor d'Étienne Pluss : un Palais de l'Archevêché dévasté par l'explosion de l'attentat-suicide, avec extraits projetés du Livre des Juges sur une poutre métallique.

Le spectacle est assurément l'un des plus marquants de cette édition 2024, avec la présence de l'impressionnant Jarret Ott dans un rôle-titre dont il expose toutes les facettes, depuis l'Hercule imprudent jusqu'à l'amoureux trahi. Vocalement, à part quelques flous dans le grave, la ligne est parfaitement tenue et projetée.

Nahuel di Pierro compose un Achisch très noir, entre cruauté et sadisme, contrastant avec l'élégante Timna de Lea Desandre qui donne à la première épouse de Samson un format sensible et nuancé. Le personnage d’Elon est tenu par un Laurence Kilsby aux limites dans l'aigu et le phrasé tandis que Jacquelyn Stucker domine parfaitement son sujet en Dalila avec un moment de grâce lors de Tristes apprêts, pâles flambeaux, sans oublier l'excellente Julie Roset dans le rôle de l'Ange.

De belles réjouissances en fosse également, avec un Raphaël Pichon qui fait de son Ensemble Pygmalion un parfait instrument au service de Rameau, nuançant les élans et les contours au point de faire oublier complètement le montage en forme de pasticcio. Les interventions de la petite harmonie sont d'une justesse et d'un galbe impressionnants, et l’épaisseur chez les cordes structure puissamment tout l'édifice musical. L'Opéra Comique accueillera au printemps prochain ce spectacle à ne rater sous aucun prétexte…