C'est sans doute avec Samson et le diptyque Songs and Fragments le spectacle qui marquera cette édition d’Aix. Non pas une nouvelle production mais la reprise d'un spectacle monté en 2016 par Katie Mitchell suite au succès de Written on Skin de Benjamin et Alcina de Haendel. La puissance visuelle de ces changements de décors ultra virtuoses opère comme au premier jour, qui ajoute à l'action un écrin à la fois surnaturel et surréaliste.

Cet Allemonde mystérieux se laisse découvrir par un jeu de rideaux coulissants qui proportionnent des décors impressionnants par leurs volumes et leur composition. Le regard circule avec fascination dans cet emboîtement rigoureusement construit sur une partition, et notamment les fameux interludes entre les scènes. Les personnages trouvent leurs marques dans cet univers à la fois fantasmé et fantomatique – à commencer par une Mélisande qui ne joue pas théâtralement sur les mêmes ressorts scéniques, construits sur mesure à l'époque par et pour Barbara Hannigan.

Engagée à la dernière minute, suite à la défection de Julia Bullock, Chiara Skerath possède l'entière palette expressive de cette Mélisande autant victime que séductrice, comme une longue mise en abyme onirique en forme de parenthèse entre une première scène muette qui la montre en train de réaliser un test de grossesse et la dernière image où elle semble émerger d'un rêve, dans la même tenue de mariée.

Vocalement, la candeur de surface se complexifie dans les reliefs d'un instrument vocal à la douceur remarquable (Mes longs cheveux descendent), capable en un tournemain de se muer en objet de résistance et de provocation dans la scène de la fontaine et le mensonge fait à Golaud. Son partenaire est le ténor britannique Huw Montague Rendall, idéal successeur en Pelléas de Stéphane Degout et bien parti pour marquer le rôle autant que lui. Le phrasé est tout simplement somptueux, avec une projection et des couleurs dignes des plus grands interprètes.

Laurent Naouri réinvente son Golaud en insufflant une ombre de brutalité et de trouble qui s'inscrit parfaitement dans la vision d'un homme partagé entre Mélisande et son double – souvenir de la princesse Ursule, à moins qu'il ne s'agisse du remords d'un crime dissimulé. Vincent Le Texier peine techniquement à rendre l'exacte dimension d'Arkel quand Lucile Richardot en Geneviève tutoie les sommets avec une lecture de la lettre qui semble un univers d'émotions à elle seule.

Pierre angulaire de cette reprise, la direction de Susanna Mälkki soigne les détails et les couleurs en déployant une conduite harmonique qui donne un sens à la dramaturgie. Le phrasé oscille entre tension et douceur, offrant à l'Orchestre de l'Opéra de Lyon l'occasion de multiplier les moments de grâce et faire de ce Debussy une référence majeure.