Picture a day like this, c'est la formule que prononce Zabelle dans son jardin merveilleux au moment d'accueillir celle qui ne sera jamais nommée autrement que la Femme. Cette fable aux allures de conte philosophique est magnifiée par une mise en scène de Daniel Janneteau et Marie-Christine Soma, qui travaille la couleur onirique et le mystère davantage que la littéralité de la narration.

La simplicité apparente de l'argument révèle une série de couches narratives qui se concentrent en se superposant autour du destin de cette mère qui vient de perdre son enfant et qui s'entend dire que, si elle réussit à trouver une personne heureuse, un miracle se produira. Ce motif liminaire s'agrémente de détails comme l'obligation de se procurer un bouton de manche pour permettre que le fils disparu revienne à la vie.

Cette histoire, inspirée du Roman d'Alexandre et de la vie de Bouddha, se divise en une série de scènes qui forme un récit initiatique au terme duquel la Femme prendra conscience de l'inéluctable finitude de la vie et de l'impossibilité de trouver le bonheur par le miracle. Cette conclusion ouverte ponctue une succession de cinq rencontres construites sur un schéma espoir-déception qui rappelle la dramaturgie du Barbe-Bleue de Balázs ou du Candide de Voltaire.

La scénographie reste assez froide et épurée, faite de pans de murs coulissants et de parois de verre. Basculant de la quête du bonheur au constat de l'échec, la Femme croise un couple d'amoureux, un artisan fabricant de boutons, une compositrice et un collectionneur d'art – tous faisant le constat d'une incapacité à accéder au bonheur.

Le voyage arrive à son terme dans le jardin merveilleux magnifié par les étonnantes vidéos du plasticien Hicham Berrada, où vit un personnage mystérieux : Zabelle, à la fois le double de la Femme et lointain écho de la Mère dans L'Enfant et les sortilèges de Ravel.

Ema Nikolovska succède à Marianne Crebassa offrant au personnage principal la figure d'un deuil maternel en mêlant timbre généreux et qualités de souffle et de ligne. La confrontation avec Zabelle fait entendre la projection très déployée et les beaux aigus de Nikola Hillebrand.

Rivalisant d'ironie et de langueur, Beate Mordal et Cameron Shahbazi sont successivement les amants puis la Compositrice et son assistant, jouant pour la soprano d’agilité et de souplesse là où le contre-ténor séduit par son phrasé. La voix ténébreuse de John Brancy donne la touche finale à ce plateau, capable de passer avec facilité de la fébrilité psychologique de l'Artisan à l'amertume du Collectionneur.

Dirigés par Alphonse Cemin, les membres de l'Orchestre Philharmonique de Strasbourg font entendre une palette harmonique à la fois subtile et très dense. La plasticité de la ligne musicale accompagne la narration en créant des climats très variés où les couleurs instrumentales se mêlent à la complexité d'une polyrythmie toujours traitée sur le mode de l'abstraction des formes et des contours.