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CRITIQUES DE CONCERTS |
29 novembre 2024 |
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Concert de l’Ensemble intercontemporain en hommage à Kaija Saariaho à la Cité de la musique, Paris.
Constellations spectrales
Les solistes de l’Ensemble intercontemporain rendent un hommage sensible à Kaija Saariaho. Sophie Cherrier, Martin Adámek, Sébastien Vichard et Renaud Déjardin en exhalent les raffinements méditatifs. Des œuvres de Grisey, Murail et Salonen appartiennent à la même famille de constellations, tandis que le trio de Lindberg en semble vraiment lointain.
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De l’obscurité et du silence naît le son. Les notes abyssales de la clarinette contrebasse de Martin Adámek engendrent cette voute bleu nuit étoilée dont on dit que son corps est celui de Nout, la mère de tous les astres selon la mythologie égyptienne. La lumière se fait progressivement suivant la progression harmonique imaginée ici par le compositeur Gérard Grisey. Une pièce matricielle fascinante avec sa polyphonie en expansion entre les changements de hauteurs et la mélodie de timbres à l’intérieur même du spectre sonore.
On ne sait si le son disparaît tout à fait mais l’obscurité revient quelques instants pour s’évanouir tandis que le violoncelle de Renaud Déjardin entame un des Sept Papillons de Saariaho. L’écriture plus serrée explore vitesse et inclinaison de l’archet, pressions diverses sur les cordes ou encore le balayage sul ponticello. Le son s’ouvre davantage avec Oi Kuu où la compositrice finlandaise adjoint au violoncelle la clarinette basse tout en cherchant un dénominateur commun aux sons multiphoniques des deux instruments.
L’espace ainsi créé pendant près de six minutes offre de multiples perspectives intrigantes. La pièce suivante porte bien son titre, Laconisme de l’aile, tant cette évocation du chant et des vols des oiseaux mêlant avec l’aide de l’électronique des fragments de poésie de Saint-John Perse à la flûte paraît d’un dessin nettement plus prosaïque que tout le talent de Sophie Cherrier ne peut transfigurer.
L’ironique Meeting imaginé par Esa-Pekka Salonen pour la clarinette et le clavecin sonne ensuite d’une grande fraîcheur. Martin Adámek et Sébastien Vichard jouent à cache-cache ou à saute-moutons entre les époques et les sons. Une autre combinaison est proposée par Tristan Murail avec Une Lettre de Vincent, écrite pour la flûte et le violoncelle. Les deux instruments reproduisent de manière très sensible les échanges entre les deux frères Vincent et Théo Van Gogh par accumulation de petites touches. C’est en sorte une autre voute étoilée, différente de celle de Nout, qui naît sous nos yeux par la grâce du dialogue entre Cherrier et Déjardin.
Le Trio pour clarinette, violoncelle et piano de Magnus Lindberg fait ensuite un important contraste avec le reste du programme. Par sa durée (vingt minutes) mais aussi par son écriture solaire. Même si le compositeur fut l’élève de Grisey, il appartient sans doute désormais à une constellation éloignée. Les irisations de ses nappes sonores opposent à quelques fragilités de l’harmonie une lyrique agitée magnifiée par l’engagement des trois solistes jusque dans le dernier mouvement jazzy au titre évocateur, Crash wave, crash. Autre trio, cette fois pour flûte alto, piano et violoncelle, Cendres de Saariaho sonne le retour à une esthétique introspective.
La Finlandaise y travaille à la fois sur les idiomes des trois différents instruments et sur ce qui peut les rapprocher. Cette nouvelle variation de l’opposition entre le tangible et l’intangible illustre la permanence du style de la compositrice. Après un autre Papillon joué comme un interlude, la dernière pièce du programme, Dolce tormento associant des bribes d’un sonnet de Pétrarque à la flûte piccolo amplifiée témoigne de manière extrêmement touchante d’un art aussi inquiet qu’intime.
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Cité de la Musique, Paris Le 21/11/2024 Thomas DESCHAMPS |
| Concert de l’Ensemble intercontemporain en hommage à Kaija Saariaho à la Cité de la musique, Paris. | Gérard Grisey (1946-1998)
Nout (extrait d’Anubis-Nout), pour clarinette contrebasse (1983)
Kaija Saariaho (1952-2023)
Sept Papillons, pour violoncelle (extraits) (2000)
Oi Kuu, pour clarinette basse et violoncelle (1990)
Laconisme de l’aile, pour flûte et électronique (1982)
Esa-Pekka Salonen (*1958)
Meeting, pour clarinette et clavecin (1982)
Tristan Murail (*1947)
Une Lettre de Vincent, pour flûte et violoncelle (2018)
Magnus Lindberg (* 1958)
Trio pour clarinette, violoncelle et piano (2008)
Kaija Saariaho
Cendres, pour flûte alto, piano et violoncelle
Dolce tormento, pour piccolo (2004)
Solistes de l’Ensemble intercontemporain
Sophie Cherrier, flûte
Martin Adámek, clarinette
SĂ©bastien Vichard, piano
Renaud DĂ©jardin, violoncelle
Clément Marie, ingénieur du son | |
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