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CRITIQUES DE CONCERTS |
29 janvier 2025 |
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Nouvelle production de Castor et Pollux de Rameau dans une mise en scène de Peter Sellars et sous la direction de Teodor Currentzis à l’Opéra national de Paris.
Entre banlieue et cosmos
Le retour de Castor et Pollux à l’Opéra de Paris, où la tragédie en musique de Rameau n’avait plus été représentée depuis 1918, appelait une vision forte. Elle l’est davantage dans la fosse, confiée à Teodor Currentzis et à son ensemble Utopia, que sur le plateau, où Peter Sellars tend à se répéter, malgré la présence fulgurante des danseurs de flexing.
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La rencontre entre Teodor Currentzis et Peter Sellars a produit en 2012 le miracle d’une Iolanta et, l’année suivante, d’une Indian Queen à Madrid. Rameau, chef et metteur en scène en ont fait, depuis l’enregistrement de The Sound of Light (Sony) consacré au compositeur français, le rêve ensemble. Est-ce le nôtre, une fois devenu réalité sur la scène de Garnier ?
Si l’esthétique de Sellars s’ancre toujours – à travers le décor unique de studio au mobilier ordinaire, et les costumes civils et militaires – dans une contemporanéité un peu factice, son langage gestuel paraît aujourd’hui soumis à une forme de systématisme. Celui-là même qui a fait basculer son théâtre si audacieusement politique et poétique dans une bien-pensance assez naïve.
Passer, par le truchement de vidéos répétitives, de la banlieue au cosmos pour montrer que Rameau est universel, n’est en effet pas exempt de simplisme. Et tandis que l’obsession du metteur en scène pour la dialectique entre guerre et paix – incarnée, au prologue, par Minerve, Vénus, l’Amour et Mars – nous vaut, moyennant quelques aménagements, un retour à la rare version originale de 1737, elle tourne bien vite court à l’épreuve du livret.
La partie visuelle doit, dès lors, son salut à la concentration de quelques regards plus que des postures, mais surtout à la flex dance, avec ses mouvements tantôt brusques, tantôt désarticulés, que la chorégraphie inscrit de façon organique dans la pulsation de la musique et sa respiration, sa vibration, en somme.
Il est vrai que Currentzis la ressent profondément, dont l’approche historiquement informée s’écarte, par certaines coquetteries d’instrumentation et la conception du phrasé comme du son même, des préceptes appliqués avec rigueur par des ensembles plus idiomatiques qu’Utopia – chœurs immaculés et orchestre infaillible. On pourra être agacé par ces pianissimi aux confins du silence, ces contrastes surlignés, ces récitatifs étirés à l’extrême. Être fasciné, aussi, par l’art chamanique d’une personnalité controversée – génie ou narcisse ? un peu des deux, sans doute. Mais à aucun moment rester indifférent.
Comme il est impossible de l’être à Jeanine De Bique, dont les mots tendent à se diluer dans les variations d’intensité d’une émission inégale, sans que soit remise en question la capacité de sa Télaïre à tenir en haleine, par la lumière du timbre et l’infinie finesse du trait. Des Dioscures, Castor l’emporte, grâce à la perfection du chant et de la déclamation de Reinoud Van Mechelen, parangon décidément d’héroïque tendresse ou d’héroïsme tendre – mais Laurence Kilsby ne lui cède en rien, qui se plie idéalement, en Amour, Athlète ou Grand Prêtre, au même registre délicat de haute-contre.
Marc Mauillon a, pour Pollux, ce verbe haut et clair si singulier, qui n’empêche pas les couleurs très personnelles d’un matériau anguleux d’incommoder parfois. Stéphanie d’Oustrac semble non sans paradoxe puisque la tessiture accuse le désordre d’une voix désormais un peu hirsute, plutôt sous-employée. Comme si Phébé ne laissait pas s’épancher suffisamment son flamboyant instinct de tragédienne.
Jupiter moins tonnant que d’une moelleuse ductilité, Nicholas Newton annonce avec une sereine autorité « la fête de l’univers ». Conclusion éclatante d’une vision dramatique et musicale qui, à la fois, frustre et envoûte.
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