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CRITIQUES DE CONCERTS |
05 février 2025 |
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Nouvelle production de La Femme sans ombre de Strauss dans une mise en scène de Tobias Kratzer et sous la direction de Donald Runnicles au Deutsche Oper de Berlin.
Avec ou sans enfant ?
Dernier volet du cycle Strauss confié par le Deutsche Oper de Berlin à Tobias Kratzer, La Femme sans ombre ne produit pas, après Arabella et Intermezzo, les étincelles attendues de la part d’un metteur en scène parmi les plus passionnants de sa génération. Si l’orchestre se hisse à la démesure de la partition, la distribution pèche nettement du côté féminin.
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Était-ce trop pour un seul homme ? Sans doute monter coup sur coup L’Or du Rhin et La Femme sans ombre relève-t-il de la gageure. Même pour Tobias Kratzer, l’une des personnalités les plus inventives de la scène lyrique actuelle. Comme s’il avait brûlé l’essentiel de ses cartouches dans le prologue de son Ring munichois où il multipliait les niveaux de lecture avec une virtuosité jouissive, l’Allemand propose une approche univoque du livret de Hofmannsthal, dont la richesse symbolique reflète l’ambition philosophique.
Dans une veine psychanalytique rappelant la production Treliński à Lyon la saison passée, la dramaturgie circonscrit l’intrigue aux problèmes des deux couples – sans distinction autre que sociale entre le monde des esprits et celui des humains –, confrontés à l’absence d’enfants dans une société (la nôtre ?) encore dominée par l’autorité masculine, dont les valeurs apparaissent basées sur l’exigence de descendance. Qu’elle s’exprime par un authentique instinct paternel, comme chez Barak, ou le devoir de perpétuer le nom, dont Keikobad se veut ici le détestable garant.
Usant, à rebours du mystère du conte, d’une esthétique fonctionnelle estampillée IKEA, Kratzer n’en tire pas moins ce fil avec une indéniable habileté. D’autant qu’il sait raconter une histoire en la pimentant de péripéties inattendues, tout en montrant les angoisses du tarissement du désir conjugal et les liens qui se distendent jusqu’à se rompre, avec une justesse non dénuée de distance ironique – la savoureuse séance de thérapie de couple du début du III. Il faudra, d’une part, que l’Impératrice se rebelle au cours d’une ordalie métamorphosée en baby shower pour que son mari retrouve soudain sa libido et, d’autre part, que Barak et sa femme divorcent pour que celui-ci accède à la paternité...
La dimension onirique n’est pas davantage assumée par les voix. Catherine Foster et Daniela Köhler ne satisfont ainsi ni l’une ni l’autre aux exigences surhumaines de la Teinturière et de l’Impératrice. Brünnhilde à Bayreuth depuis plus d’une décennie, la Britannique possède en théorie les moyens de la première. Elle lui arrache pourtant force cris, l’intonation s’abîmant peu à peu dans les fluctuations du vibrato. L’instrument de sa consœur tient, à l’inverse, du rayon laser, pointu jusqu’à la stridence.
Le mezzo fuselé – et fuligineux quand il le faut – de Marina Prudenskaya est en revanche du meilleur effet, pour une Nourrice cocassement détestable, prête à dérober un bébé destiné à un couple gay à la maternité. Taillé dans l’airain indispensable au ténor héroïque selon Strauss – ce qui ne l’empêche pas d’achopper sur les hauteurs les plus exposées de l’Empereur –, Clay Hilley se soucie bien peu du phrasé, apanage du Barak de Jordan Shanahan, baryton onctueux comparé au Messager surchargé en testostérone de Patrick Guetti.
À la tête d’un orchestre superlatif, Donald Runnicles renonce à cultiver d’irréelles irisations pour mieux faire bouillonner, sans pesanteur ni déséquilibres avec le plateau, la luxuriance d’une partition enivrante entre toutes.
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Deutsche Oper, Berlin Le 30/01/2025 Mehdi MAHDAVI |
| Nouvelle production de La Femme sans ombre de Strauss dans une mise en scène de Tobias Kratzer et sous la direction de Donald Runnicles au Deutsche Oper de Berlin. | Richard Strauss (1864-1949)
Die Frau ohne Schatten, opéra en trois actes (1919)
Livret de Hugo von Hofmannsthal
Kinderchor und Chor der Deutschen Oper Berlin
Orchester der Deutsche Oper Berlin
direction : Donald Runnicles
mise en scène : Tobias Kratzer
décors et costumes : Rainer Sellmaier
Ă©clairages : Olaf Winter
vidéos : Manuel Braun, Jonas Dahl, Janic Bebe
dramaturgie : Jörg Königsdorf
préparation des chœurs : Jeremy Bines
Avec :
Clay Hilley (Der Kaiser), Daniela Köhler (Die Kaiserin), Marina Prudenskaya (Die Amme), Patrick Guetti (Der Geisterbote), Hye-young Moon (Hüter der Schwelle des Tempels), Chance Jonas-O’Toole (Erscheinung eines Jünglings), Nina Solodovnikova (Die Stimme des Falken), Stephanie Wake-Edwards (Eine Stimme von oben), Jordan Shanahan (Barak, der Färber), Catherine Foster (Färberin), Philipp Jekal (Der Einäugige), Dominic Barberi (Der Einarmige), Thomas Cilluffo (Der Buckliger), Harald Heinz (Keikobad). | |
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