Quelques notes de l’Allegro amabile de la Sonate pour violon et piano n° 2 de Brahms suffisent à faire un constat, celui du déséquilibre sonore entre le violon discret voire confidentiel de Janine Jansen et le piano plein de Denis Kozhukhin, à un point tel qu’il n’est pas nécessaire de décrire davantage leur prestation.

Applaudissements polis, un passage en coulisse et les deux artistes reviennent pour la première sonate du même compositeur. Cette fois, la balance sonne d’aplomb. Sans que la violoniste ne force son émission, le piano ne la couvre plus. On en sait gré à Kozhukhin d’être capable d’ajuster le volume sans contrevenir à l’expression de ses moyens. Son jeu sonne parfaitement idiomatique, prodigue en couleurs et donc en nuances.

Sa partenaire ne possède en revanche pas tout à fait la projection nécessaire à cette écriture lyrique, notamment pour le deuxième thème du Vivace non troppo. Toutefois Jansen parvient à force de mezza voce à instaurer avec Kozhukhin un climat intérieur dans le deuxième mouvement et une mélancolie prégnante dans le troisième. Après l’entracte, une seconde partie de programme consacrée à la musique française apporte beaucoup plus de satisfaction.

Bien que la Sonate de Poulenc doive un peu de l’admiration de son auteur pour son modèle brahmsien, son écriture dramatique l’emporte sur le lyrisme partagé qu’on trouve chez l’Allemand. Jansen n’a pas son pareil pour se saisir de ces incessantes sautes d’humeur musicales. Sa virtuosité semble sans limites dans les pieds de nez du premier mouvement.

Elle rend toute l’atmosphère de l’Intermezzo au moyen d’un camaïeu expressif, tandis que la complicité avec Kozhukhin permet une course à l’abîme insensée dans le dernier mouvement. Les deux musiciens font ensuite jeu égal dans Thème et variations de Messiaen dont ils graduent parfaitement la progression fervente. La substance et les enjeux de la Sonate en sol majeur de Ravel sont tout autres.

La légèreté d’écriture sied une nouvelle fois à la violoniste alors que le pianiste se montre d’une étonnante ductilité rythmique. On pourrait attendre plus de nonchalance poétique dans leur approche sans doute un peu trop preste dans l’Allegretto mais les évocations du banjo et de l’ukulélé amusent irrésistiblement dans Blues. Nos deux virtuoses ne font qu’une bouchée du mouvement perpétuel final enlevé avec un esprit ravageur.

En réponse aux applaudissements très enthousiastes du public, Jansen annonce Syncope de Kreisler, sorte d’imitation lyrique des cakewalks américains, peut-être pas le bis idéal pour une artiste dont le legato n’est plus la qualité première.