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CRITIQUES DE CONCERTS |
19 avril 2025 |
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Nouvelle production de Turandot de Puccini dans une mise en scène de Christof Loy et sous la direction de José Miguel Pérez-Sierra à l’Opéra de Bâle.
Turandot seule, perdue, abandonnée
S’il apporte une réponse semble-t-il inédite aux questions récurrentes soulevées par l’inachèvement de l’ultime opéra de Puccini, Christof Loy reste en-deçà des espérances dans la majeure partie de l’ouvrage. Quelque peu à l’étroit dans la salle du Théâtre de Bâle, la partition est défendue avec vaillance et nuances par les protagonistes féminines.
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Turandot seule, perdue, abandonnée
Mithridate phtalocyanine
Difficile équilibre
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Surprise : ce ne sont pas les cinq accords attendus qui fendent le silence de leur implacable violence en ouverture de la Turandot signée Christof Loy, mais la mélodie éperdue de Crisantemi, quatuor à cordes (ici arrangé pour orchestre) écrit par Puccini en réaction à la disparition prématurée d’Amadeo di Savoia, fils de Vittorio Emmanuele II, en 1890, et dont il reprendra des thèmes dans Manon Lescaut trois ans plus tard.
Ce même opéra dont le dernier acte est enchaîné à la mort de Liù. Il fallait sans doute ce prélude et cet épilogue pour donner corps à la vision du metteur en scène, qui dans le reste de l’ouvrage ne prend ses distances avec les poses habituelles que par une voie détournée.
La pantomime du début, où la jeune princesse au seuil de l’adolescence se livre au jeu de la vengeance du viol et de la mort de sa lointaine aïeule avec des poupées, révèle certes la spirale de cruauté dans laquelle l’entraîne cette blessure originelle : une fois adulte, le jeu devient mise à l’épreuve et exécution bien réelle de ses prétendants successifs, sous le regard impuissant de son père. La foule, jusqu’alors invisible, revêt les costumes d’une Chine fantasmée, à l’instar de l’héroïne, à laquelle ne manque ni la coiffe, ni les ongles d’une certaine tradition.
Au-dessus du vaste salon aux murs couverts de panneaux de soie aux motifs végétaux et animaliers, un couloir immaculé symbolise, apprend-on dans le programme, l’amour pur de Liù. Après le suicide de cette dernière, c’est dans cet espace occupant désormais la totalité du plateau que se déroule cette déroutante proposition de quatrième acte.
Turandot emprunte les notes et les mots de Manon Lescaut, qui la mène jusqu’à son dernier souffle, tandis que Calaf serre et verse des larmes sur le cadavre de la petite esclave. Comment, dans pareille impasse émotionnelle, où l’ordre des choses se trouve définitivement bouleversé, le sacrifice de cette dernière pourrait-il, en effet, conduire à une fin heureuse ? La question mérite d’être posée, sans que l’artifice employé, par-delà la rupture stylistique entre deux partitions que séparent trente années de la glorieuse carrière de Puccini, ne convainque pleinement de l’audace de la réponse.
Il convient en tout cas de saluer la performance de Miren Urbieta-Vega, soprano assurément plus lyrique que dramatique, qui ajoute, sans que jamais ses ressources soient prises en défaut, dans le cantabile comme dans l’aigu dardé, l’entrée et les énigmes de Turandot et la mort de Manon Lescaut. Dans la logique de la production, où les deux héroïnes pourraient être les deux facettes d’une même personnalité se rejoignant in fine, son timbre est assez proche de celui de Mahé Galoyan, Liù à la messa di voce comme aux sons filés de haute école, portés à incandescence par la vérité de l’expression.
Mieux vaut oublier, en revanche, le Calaf à l’émission chaotique et braillarde de Rodrigo Porras Garulo, dont les tentatives d’allègement, dans Nessun dorma, ne peuvent donner l’illusion qu’il a un jour appris à chanter.
Il faudrait davantage, enfin, que la direction plutôt prosaïque de José Miguel Pérez-Sierra, qui ne se soucie pas assez, dans une salle de cette taille, et même sans jamais couvrir les voix, des équilibres sonores, pour que la cohérence de l’ensemble l’emporte sur les défauts d’une tentative dès lors inaboutie.
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Theater, Basel Le 14/04/2025 Mehdi MAHDAVI |
 | Nouvelle production de Turandot de Puccini dans une mise en scène de Christof Loy et sous la direction de José Miguel Pérez-Sierra à l’Opéra de Bâle. | Giacomo Puccini (1858-1924)
Turandot, dramma lirico en trois actes et cinq tableaux (1926)
Livret de Giuseppe Adami & Renato Simoni d’après Carlo Gozzi
Précédé de Crisantemi, pour quatuor à cordes (1890), arrangé pour orchestre à cordes, et suivi de l’acte IV de Manon Lescaut, drame lyrique en quatre actes (1893)
Knabenkantorei Basel
Chor des Theater Basel et Sinfonieorchester Basel
direction : José Miguel Pérez-Sierra
mise en scène : Christof Loy
décors et costumes : Herbert Murauer
éclairages : Thomas Kleinstück
préparation des chœurs : Michael Clark
Avec :
Miren Urbieta-Vega (Turandot), Mahé Galoyan (Liù), Rodrigo Porras Garulo (Calaf), Olivier Gourdy (Timur), Rolf Romei (Imperatore Altoum), David Oller (Ping), Ronan Caillet (Pang), Lucas van Lierop (Pong), Andrew Murphy (Un Mandarino). |  |
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