|
|
CRITIQUES DE CONCERTS |
21 décembre 2024 |
|
Sous l'autorité de Marek Janowski, le "Philhar" commençait enfin à ressembler à une machine orchestrale convenablement huilée. Désormais, Myung-Whun Chung semble avoir trouvé le moyen de lui acheter un supplément d'âme, et surtout cette personnalité sonore qui lui manquait désespérément. Or, avant-guerre – la première ! - les orchestres français étaient réputés pour une signature inimitable.
D'où la bonne idée d'un programme en cheminement chronologique inverse vers ces glorieuses racines : L'Ascension de Messiaen (années 30), la suite N°2 de Daphnis et Chloé de Ravel (années 1910) et la suite symphonique de Pelléas et Mélisande de Fauré (1898) ; donc une soirée entière sous le signe de la couleur et du raffinement qui rendent la musique orchestrale française si unique (sans chauvinisme, aucun
).
D'emblée, Chung a pris la mesure acoustique de la salle Pleyel pour déployer sa palette sans éclabousser. Dans ce même lieu, Eschenbach et l'Orchestre de Paris avaient d'emblée assourdi le public dans une Turangalilà par ailleurs non dénuée de qualités. Avec le même "Philhar", mais cette fois au Châtelet, Paavo Jarvi a donné le mois dernier une version aussi militaire qu'insupportablement tonitruante de la 6e symphonie de Mahler.
Chung lui écoute les murs avant de lever les bras et s'il doit faire un triple forte, il aura bien pris soin de ménager la résistance de l'auditoire avec des nuances pianos avant et après. C'est avec sa main droite que Chung canalise et dompte le flot musical. Sa rigueur rythmique exemplaire engendre clarté d'élocution instrumentale, différenciation des pupitres, et surtout, un étagement des nuances dynamiques qui laisse pantois.
Ravel en fut l'illustration parfaite : des frémissements impalpables puis tourbillonnants du Lever du jour à l'ivresse radieuse de la Danse générale, la suite n°2 de Daphnis est réglée avec une précision du trait qu'aucun effet gratuit ne vient entacher.
| | |
De sa main gauche, le chef coréen chantourne avec une infinie délicatesse les mystérieuses lignes mélodiques du Prélude de Fauré ou l'implacable mélancolie de la Mort de Mélisande. Il encourage tellement bien les instruments à se fondre que l'on y perd son arithmétique musicale : une clarinette plus une flûte plus un violon égale trois instruments ? Non, un quatrième qui échappe à la nomenclature connue.
Dans les dépaysants décors sonores que brosse Messiaen, cette fusion est si saisissante que l'on croirait entendre des bruits captés dans la nature. Une forêt bruissante de vents et d'oiseaux ? Un fond de cascade ? D'autres images, même un peu clichés ? En tout cas le mot est lâché, il y a des images dans ce son-là , le cadrage est clairement panoramique et la pellicule technicolor est sans nul doute estampillée "made in France".
Surprise, la bobine casse en fin de concert, le temps d'un bis dont l'éclat fracassant paraît obscène après un film si sensible : la Mort de Tybal (extrait du Roméo et Juliette de Prokofiev) et ses féroces quinze accords répétés et martelés fortissimo. Une bonne claque dans le cocorico !
| | |
|
Salle Pleyel, Paris Le 16/12/2000 Eric SEBBAG |
| L'Orchestre Philharmonique de Radio France dirigé par Myung-Whun Chung salle Pleyel. | Orchestre Philharmonique de Radio France
Myung-Whun Chung, direction
Olivier Messiaen : L'Ascension, quatre méditations métaphysiques
Gabriel Fauré : Pelléas et Mélisande (extraits : Prélude, La Fileuse, Sicilienne & Mort de Mélisande)
Maurice Ravel : Suite n°2 de Daphnis et Chloé
| |
| |
| | |
|