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CRITIQUES DE CONCERTS |
30 octobre 2024 |
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Quand la fête est finie, le champagne bu et les mensonges oubliés, l'horreur peut s'accomplir sur le tapis des confettis et des débris mêlés. Pour cette Chauve-souris -l'opérette la plus jouée du répertoire-, la lecture de Coline Serreau est d'un pessimisme efficace qui renouvelle l'appréhension de ce chef-d'oeuvre en l'inscrivant dans une perspective de mémoire.
Elle sied étrangement bien à un ouvrage au centre duquel règnent le dieu Champagne, le mensonge bourgeois et l'aveuglement nécessaire pour que s'accomplissent les affaires frauduleuses, les crimes impunis, les emprisonnements arbitraires et la mort programmée.
Dans l'ouverture, qui est une des plus belles et des plus efficaces que l'on connaisse, Coline Serreau rappelle au public parisien ce que nul Autrichien n'ignore : que l'histoire de Die Fledermaus ne commence pas avec le trio Rosalinde, Eisenstein, Alfred le ténor (la femme, le mari, l'amant).
Dès la première note de l'ouverture, dans une atmosphère enfiévrée où virevoltent des chauves-souris incarnées par des trapézistes, on devine que la vengeance du Docteur Falke ne sera pas montrée comme un divertissement. La nuit, la violence en contre-jour, le vol de l'être maléfique que symbolise l'animal annoncent l'inquiétude qui sera montrée par le metteur en scène au troisième acte, de manière outrancière.
On y verra donc une prison (inspirée de Piranèse), mais on pensera tellement fort à un camp de concentration que le soir de la seconde, une femme du public insultait Coline Serreau pendant la représentation, au motif que l'opérette n'avait rien à voir avec la Shoah. Son léger accent allemand et son émotion mal dissimulée disaient combien l'art pouvait parler à l'inconscient pour exprimer les douleurs enfouies.
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Le premier acte se passe donc sur la terrasse d'une villa de style Art Nouveau d'un kitsch achevé, désignant à la lettre les conventions de mise en scène du vaudeville : postures, costumes, mouvements caricaturaux, entrées-sorties appuyées, clins d'œil à la salle.
Accompagnées efficacement mais sans aucun panache par un orchestre peu motivé et une direction plate d'Armin Jordan, les premières scènes, notamment le premier trio, n'emportent aucun sourire. Même le célèbrissime premier Finale Trinke, Liebschen, trinke schnell, malgré la vaillance des chanteurs, n'aurait pas fait lever le coude à un soiffard professionnel. Entracte morose donc, dans la crainte d'une déception musicale à suivre.
Au deuxième acte, la scène l'emporte sur la fosse. Le décor montre le palais du prince Orlofsky dont la perspective évoque les architectures idéales de Baldassare Peruzzi. Le prince est un grand malade tirant sa perfusion avec lui. Le sens de cette image est multiple. Exprime-t-elle le dégoût pour la vie que chante le personnage ("Mes millions font mon malheur") ?
Parle-t-elle de la proximité de la mort d'une certaine société que le titre de prince représente ("Je lui lance sans me gêner la bouteille à la tête
à chacun son goût") ? Dans ce rôle chanté ici par une femme, Béatrice Uria-Monzon possède le timbre inquiétant qui convient, et son talent de comédienne fait vite oublier la violence que son personnage exprime.
Pour la scène dansée qui constitue le clou de la fête, Coline Serreau fait appel à la chorégraphe Laura Scozzi qui règle trois ballets époustouflants dont l'un intronise la danse hip-hop, tout sur la tête, sur la scène de l'Opéra de Paris. En contraste avec la valse qui clôt la scène et remet les chaussons sur le plancher, l'effet est garanti. Après le jazz-rock dans Wintermärchen de Philippe Boesmans au Châtelet, les breakers et smurfeuses à Bastille !
L'acte de la prison se passe dans l'envers de ce décor : changement à vue applaudi par la salle. Ici Coline Serreau rappelle que le cinéma est son activité favorite : une multitude de saynètes accompagnent l'action principale. De sa main gauche, elle montre : voici une prison d'opérette. La bonne société s'y retrouve pour y sabrer le champagne avec le directeur (désopilant Gilles Privat). De la droite : derrière les perspectives du palais Orlofsky, il y a la prison pour
dettes, pour insultes à l'autorité, pour opinions divergentes. Imaginez le reste. Plus la chanson est belle, tralalalalalala, plus il y a de cadavres derrière.
Lire l'avis moins favorable de Gérard Mannoni
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Palais Garnier, Paris Le 27/12/2000 Olivier BERNAGER |
| La Chauve-souris de Johann Strauss à l'Opéra de Paris. | La Chauve-souris de Johann Strauss
Orchestre de l'Opéra
Direction musicale : Armin Jordan
Mise en scène : Coline Serreau
Décors : Jean-Marc Stehlé et Antoine Fontaine
Costumes : Elsa Pavanel
Avec Charles Workman (Gabriel von Eisenstein)- Brigitte Han (Rosalinde)- Andreas Scheibner (Frank)- Béatrice Uria-Monzon (Prince Orlovsky)- Bonaventura Bottone (Alfred)- Christopher Schaldenbrand (Dr Falk)- Wolfgang Ablinger-Sperrhhacke (Dr Blind)- Malin Hartelius (Adele)- Gilles Privat (Frosch)- Jeanne Tremsal (Ida).
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