Les Sonates de Magnard et de Rachmaninov constituent la substance d'un programme inscrit dans le Cycle de Musique Russe du musée d'Orsay. Si une décennie seulement sépare les deux oeuvres au programme de ce concert, leur caractère semble aussi dissemblable que leurs interprètes. Celle d'Albéric Magnard appartient au répertoire intimiste de la musique française du début du XXe siècle, alors que le Russe est ici romantique et angoissé.
Eric Maria Couturier et Laurent Wagschal ont abordé la première sur le ton de la mélancolie, avec toute la douceur et le tourment que ce sentiment peut suggérer. Dans le 2e mouvement, pourtant intitulé scherzo, le pianiste adopte un timbre feutré avec basses de velours nappées d'aigus cristallins. Dans le 3e mouvement dit funèbre, le phrasé des deux instrumentistes est soutenu et pris dans un élan tel que la ligne ne se brise jamais.
Quelques notes sont retardées mais sans préciosité, grâce à une profondeur de son omniprésente évitant tout sentimentalisme. Seul le dernier mouvement, rondement, est peut-être agité par un archet trop nerveux. C'est sur ce même ton que sera jouée la Sonate de Rachmaninov. Si le violoncelliste est en recherche constante du côté du timbre, il se laisse souvent déborder par le flot de notes.
Dans l'Allegro scherzando, sa volonté d'exacerber l'angoisse du mouvement le pousse à briser le legato sostenuto d'une mélodie pourtant ample et grave en exagérant des nuances. En revanche, ses martellato légers mais marqués qui scandent le rythme de cette pièce apportent une note âpre intéressante. Mais, écoutée isolément, l' d'emphase de la ligne mélodique produirait finalement l'effet inverse de ce qui est recherché en maquillant le drame des atours de la désinvolture.
Heureusement, la tempérance et la maturité du pianiste rattrapent les excès de son partenaire. Le piano, très maîtrisé, pondère les élans passionnels du violoncelle : sa tenue rythmique équilibre le chaos et soutient - tout en le contenant - le lyrisme souvent excessif de Eric Maria Couturier. Grâce à Laurent Wagschal, l'emphase du violoncelle ne précipite pas Rachmaninov dans le pathos. Voilà deux instrumentistes qui se sont trouvés.
| | |