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CRITIQUES DE CONCERTS 30 décembre 2024

La folle journée d'Ivan Illich à Nantes.

Le jeu des folles comparaisons

La folle journée de Nantes est décidément une formule dont le succès ne se dément plus. C'est aussi un moment unique: le mélomane est débordé par l'offre musicale et il peut comparer, à quelques heures d'intervalle, des interprétations différentes d'une même oeuvre. C'est le jeu auquel s'est livré Michel Parouty.
 

Le 26/01/2001
Michel PAROUTY
 



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  • L'un des plaisirs de la "folle journée" c'est, pour les amateurs, le jeu des comparaisons. Entendre plusieurs fois la même oeuvre, par des interprètes différents, et se laisser entraîner dans des mondes que l'on croit connaître mais où toutes les surprises sont permises.

    Ainsi la Sonate pour violon et piano n°2 de Serge Prokofiev. Ce sont d'abord Vadim Repin et Boris Berezovsky qui s'y lancent, après un brillant et chantant Divertimento stravinskyen, qu'ils donneront aussi au cours de leur tournée dont Nantes n'est qu'une étape, et qui figure sur leur récent enregistrement. C'est avec poésie et raffinement qu'ils abordent cette sonate dont David Oïstrakh et Lev Oborin furent les créateurs, ou plutôt les recréateurs puisqu'elle fuit, à l'origine, conçue pour flûte et piano.

    Rond comme le "Ruby"
    Comment ne pas être séduit par la finesse et l'élégance de Repin, par les sons lumineux et doux qu'il tire de son Stradivarius, le "Ruby" ? Puissant lorsqu'il le faut, plus ironique que sarcastique, il est en parfaite communion avec son partenaire, recherchant, dans les couleurs et les phrasés, une franche complémentarité.

    Avec Julian Rachlin et Nicholas Angelich, l'éclairage change et la séduction prend volontairement ses distances. Rachlin n'hésite pas devant les contours anguleux, la tension, voir l'agressivité. De même, le piano d'Angelich étale une palette contrastée, une véhémence qui pèse son poids. Au lyrisme effusif de leurs confrères, ils préfèrent une vision dramatique, une carrure théâtrale. Angelich abordera avec la même intensité quelques Etudes-Tableaux de Rachmaninov, tandis que Rachlin, à l'alto, cèdera aux accents langoureux de l'Elégie d'Alexandre Glazounov.


    Une leçon de piano
    La popularité de Serge Rachmaninov repose-t-elle uniquement sur ses concertos pour piano ? Ils attirent toujours les foules. On ne trouve plus une place libre sur les 2000 que compte le grand auditorium (baptisé Pouchkine pour l'occasion) lorsque Nikolai Lugansky est le soliste du Concerto n°3. Les amateurs de déchaînements lyriques et de tempêtes sous les doigts restent sans doute sur leur fin : jamais le texte n'est outrageusement sollicité, les déferlements sont parfaitement maîtrisés, les envolées calculées avec pertinence.

    Lugansky offre une leçon de grand piano, laisse libre cours à une sensibilité qui se délecte de virtuosité mais n'en fait pas un but unique, et séduit par une sonorité brillante et lumineuse. Il domine la partition avec classe, mais jamais ne s'abandonne ; peut-être est-ce là ce qui manque à sa vision, ample et belle, chaleureuse mais sans surprise. L'Orchestre symphonique de Saint-Pétersbourg, aux sonorités âpres et crues, ne l'aide pas vraiment, ni la direction sans nuances d'Alexandre Dmitriev (qui abordera la 4e Symphonie de Tchaïkovski avec la même rudesse).


    Si ce n'est toi, c'est donc ton Freire
    Dmitriev et ses forces pétersbourgeoises officient encore le lendemain, pour l'illustrissime 2e Concerto. Nelson Freire est au clavier, et l'on se réjouit de voir que, moins médiatisé que son confrère et ignoré des grandes firmes de disques, il remplit la salle avec un public fidèle et enthousiaste. Il faut avouer qu'il est exemplaire de tact, de finesse, d'intelligence.

    Sans enlever à l'ouvrage la sentimentalité qui a fait son succès (y compris à l'écran depuis le Brève rencontre du cinéaste David Lean), il lui impose une hauteur de vue et une noblesse qui le transfigurent littéralement, à tel point que l'orchestre et le chef sont obligés de faire profil bas. Hélène Grimaud devait, le dernier jour, se produire dans le même concerto, et la comparaison eût peut-être été instructive ; elle a déclaré forfait et Freire l'a remplacée. Il n'est pas certain que l'on ait perdu au change


    Rachmaninov frappé d'ubiquité
    Rachmaninov est présent sur tous les fronts. Juliette Galtsian, soprano au timbre fruité, et Suren Shahi-Djanyan, basse superbe et sonore, lui rendent hommage entre quelques mélodies de Tchaïkovski et Rimski-Korsakov. Le Choeur philharmonique de chambre estonien chante ses Vêpres avec un recueillement et une magnificence qui le situent au rang des meilleurs. Des Français s'y risquent aussi. Le Trio Wanderer, toujours attentif à la plastique et à l'expression, n'arrive pourtant pas à gommer les longueurs du Trio élégiaque op. 9.


    Anne Gastinel et François-Fréderic Guy, ne revanche, se méfiant des excès tout en laissant chanter leurs instruments, donnent de la Sonate pour violoncelle et piano en sol mineur une image qui équilibre harmonieusement charme et retenue. Une jolie manière d'apprivoiser un musicien moins excessif, sans doute, qu'il le prétend.

    Chostakovitch, un continent à découvrir.
    L'un des buts de la "folle journée", c'est de faire découvrir des oeuvres et des compositeurs. Lorsqu'il s'agit de Adrian Chapochnikov, dont Isabelle Moretti et Philippe Bernold jouent joliment la Sonate pour flûte et harpe, ou de Vladimir Cherbachov, dont les mêmes, auxquels se sont joints le pianiste Hüseyin Sermet, la soprano Françoise Masset et le Quatuor Danel donnent courageusement le languissant Noneto, on peut sans risque demeurer dans l'ignorance.

    Dimitri Chostakovitch, c'est autre chose. On est heureux d'entendre un ensemble français se lancer dans l'aventure des quatuors à cordes ; dans les 8e et 10e, , le Quatuor Debussy fait preuve d'une belle énergie, multipliant sonorités tranchantes et phrasés agressifs. Le pétulant Concerto pour trompette et piano n°1 est l'occasion d'une rencontre entre le très jeune Sergei Nakariakov, vrai prodige et fabuleux musicien, et Vladimir Krainev.

    Le premier, affalé sur une chaise, tire de son instrument des sons enchanteurs. Le second transforme en quelques secondes son clavier en brasier. Alexander Rudin parvient néanmoins à les discipliner et à guider dans cette tourmente son orchestre Musica Viva. Krainev retrouvera une partie de son calme pour le poignant Concerto pour piano que lui a écrit Alfred Schnittke.


    Le jeu des comparaisons
    Terminons sur une nouvelle comparaison dans le feu de l'action. Le Concerto pour violoncelle n°1 de Chostakovitch a d'abord pour champion Pieter Wispelwey : phrasé délié et bondissant, son superbe, il marque sa préférence pour une vision théâtrale et ironique. L'Orchestre de Bretagne et Stefan Sanderling lui offrent un commentaire vivant et pertinent.

    Natalia Gutman se meut dans un tout autre univers, sombre, dramatique, étreignant, ouvrant sous chaque note d'inquiétants abîmes. Son interprétation, d'une beauté sauvage, demeure l'un des moments forts de ces trois jours. Et l'accompagnement de l'Orchestre Poitou-Charentes, sous la baguette de Peter Csaba, révèle une petite formation d'une exceptionnelle qualité, précise, brillante, dynamique, dont la forme exceptionnelle donne à l'ouverture de Rouslan et Liuodmila de Glinka tout son panache.

    Ce genre de comparaisons -presques déraisonnables- n'est possible qu'à la "folle journée", et nulle part ailleurs.




    Le 26/01/2001
    Michel PAROUTY


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